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Abbaye d'Ardenne (Calvados) |
Christian Prigent a confié ses archives à l'Institut mémoires de
l’édition contemporaine en 2012. De nouveaux dossiers sont arrivés
depuis : « La Vie moderne », « Les Enfances
Chino », « Épigrammes » de Martial et « SILO »
(essais et entretiens mis en ligne sur le
site
de POL). En complément des archives personnelles,
l’IMEC constitue une bibliothèque d’étude regroupant les livres
de Christian Prigent et les travaux universitaires portant sur son
œuvre. Ressource extrêmement riche pour l’étude de l’œuvre
prigentienne, le fonds offre aussi un matériau historique
considérable sur l’activité des réseaux poétiques et
artistiques « avant-gardistes » ou « expérimentaux »
auxquels Christian Prigent participe depuis les années 1970.
L’archivage
en bref : des cartons à l’inventaire
Après la phase de découverte (ouverture des cartons), il s’agit
d’établir un « plan de
classement » du fonds. À
l’IMEC, les archivistes s’efforcent de respecter autant que
possible les choix de classement opérés par les auteurs. Ce
principe fut ici relativement facile à appliquer, car Christian
Prigent a donné des archives ordonnées. Vient ensuite l’étape du
reconditionnement : élimination des matériaux fortement
dégradables (agrafes, trombones) et remplacement des chemises
d’origine par des contenants en matériaux neutres. À chaque sous
dossier sont attribués une cote et un code-barres qui permettront la
communication des documents aux chercheurs. Ensuite commence le
travail de description des archives. On ne décrit bien sûr pas
chaque feuillet, mais des ensembles cohérents de documents. Au bout
du compte, on obtient un inventaire complet qui doit permettre de se
faire une idée assez précise du contenu du fonds.
Analyse du fonds
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Typhaine Garnier |
Christian Prigent n’a donné à l’IMEC que les archives de
l’écrivain. On trouve donc très peu d’archives familiales
(seulement quelques documents « recyclés » dans les
livres et les archives rassemblées pour le volume d’entretiens
Christian Prigent, quatre temps,
paru chez Argol en 2009). On ne trouve pas non plus les
archives de l’activité d’enseignement de Christian Prigent. Les
plus
anciens textes de Christian Prigent présents dans le fonds sont
des poèmes de 1963 (année de son entrée en classe d’hypokhâgne
à Rennes). Les documents les plus récents datent de quelques mois.
Pour les œuvres littéraires, Christian Prigent a constitué des
dossiers particuliers réunissant souvent une grande diversité de
documents : notes et brouillons, croquis, documents exploités,
correspondance et dossier de presse.
Les travaux sur Francis Ponge forment un dossier important comprenant
les brouillons de la thèse La poétique de Francis Ponge
(1969-1976), des articles postérieurs et la correspondance échangée
avec Francis Ponge sur une vingtaine d’années. L’ensemble
concernant l’activité théorique et critique de Christian Prigent
réunit en outre un grand nombre d’articles parus depuis le début
des années 1970 dans divers journaux et revues.
Les archives « sur la peinture » (désignation inscrite
par Christian Prigent sur plusieurs volumineux dossiers) témoignent
de l’importance de celle-ci dans l’œuvre de l’écrivain. Elles
rassemblent la plupart de ses textes en rapport avec les arts
plastiques, mais également des dossiers consacrés à des artistes
dont les oeuvres l’ont intéressé, ainsi que des documents sur les
expositions dans lesquelles il s’est impliqué.
Un ensemble de carnets et cahiers complète les archives de cette
intense production littéraire et théorique.
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Christian Prigent, Vanda Benes et Typhaine Garnier |
Les interventions publiques de Christian Prigent sont elles aussi
richement documentées par
les notes préparatoires et les
textes de nombreuses conférences, les contrats, les programmes des
manifestations, les listes des textes lus, les agendas personnels,
ainsi que par de nombreux enregistrements audio et vidéo (les
premières lectures enregistrées datent de 1973).
Si le fonds comporte peu de documents sur TXT (les
archives de la revue ayant été déposées en 2002 à la
Bibliothèque Jacques Doucet), on y trouve en revanche un ensemble
important concernant la collection « Muro Torto » fondée
à Rome en 1979.
La correspondance comprend des lettres de plus de cent cinquante
scripteurs, parmi lesquels figurent des personnalités éminentes,
des éditeurs et de nombreux amis écrivains, philosophes et
artistes.
Également très fourni, le dossier critique comprend des travaux
universitaires portant sur l’œuvre de Christian Prigent ou sur
TXT, des documents de préparation des dossiers
consacrés à Christian Prigent dans des revues,
ainsi que de nombreux articles de presse.
Répartie dans les différents ensembles, une riche documentation
iconographique complète le fonds (photographies d’écrivains
et artistes proches, originaux des documents utilisés ou reproduits
dans les livres).
Usages des archives
« Je ne me suis bien évidemment pas placé d’emblée dans la
perspective d’une conservation de ces paperasses (à des
fins « historiques ») », lit-on dans L’Archive
e(s(t l’œuvre e(s)t l’archive (IMEC,
2012, p. 13).
Les archives données à l’IMEC ne représentent
qu’une partie de ce qui a été amassé et écrit par Christian
Prigent.
Plutôt que le détail de cette genèse, les archives donnent à voir
la fabrique prigentienne, le modus operandi habituel par
montage et recyclage de documents. Déménagements successifs et dégât des eaux ont réduit
le volume. Pour les livres écrits depuis l’adoption de
l’ordinateur, la plupart des états successifs des textes sont
passés à la corbeille informatique. Il en va de même pour les
documents utilisés : leur intérêt disparaît généralement
une fois qu’ils ont été avalés par l’œuvre. Comme le souligne
Christian Prigent, l’importance des lacunes empêche une
exploitation strictement génétique des archives qui se proposerait
de reconstituer pas à pas la création de tel ou tel livre.
Mais par la diversité des documents donnés à l’IMEC, le fonds
n’est pas seulement la mémoire de cette fabrique. Les dossiers de
presse constitués très tôt par Christian Prigent et les
enregistrements des émissions auxquelles il a participé permettent
par exemple d’étudier la réception de ses livres sur plus de
quarante ans. À travers les documents relatifs aux diverses
interventions de Christian Prigent, il est possible de suivre
la présence publique de l’écrivain depuis la fin des années
1970. On pourra étudier aussi la pratique de la voix grâce aux
nombreux enregistrements de travail que l'auteur a lui-même
réalisés.
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3 juillet 2014 : Yoann Thommerel fait visiter la bibliothèque de l'IMEC à ses invités du colloque de Cerisy, "Christian Prigent : trou(v)er sa langue" (dir. : B. Gorrillot, S. Santi et F. Thumerel) |
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Un échantillon : les archives de Grand-mère
Quéquette
Une exposition d’archives échappe difficilement à la tentation
d’esthétisation des « beaux » manuscrits. Entre deux
feuillets d’intérêt équivalent, on retient plutôt celui qui a
de belles ratures en
couleurs. Le choix de montrer les archives d’un
seul livre visait à contrer cette tentation.
Depuis sa publication en 2003,
Grand-mère Quéquette
s’est bien installé dans le paysage littéraire. Situé au milieu
du cycle narratif ouvert par
Commencement (1989), ce
livre a eu et continue d’avoir des échos divers : remarqué
dans la presse lors de sa parution en 2003, il a fait l’objet de
plusieurs adaptations théâtrales et suscite depuis quelques années
l’intérêt des chercheurs. Conséquence de ce rayonnement, les
archives de
Grand-mère Quéquette sont
particulièrement riches : elles rassemblent non seulement des
documents montrant diverses étapes de l’écriture, mais aussi des
archives « brutes » (images et textes exploités) et de
nombreux documents relevant de la réception du livre (lettres,
articles de presse, etc.). Elles offrent ainsi un aperçu de la vie
du roman, depuis les premières notes pour ce qui s’appelait alors
« projet
"Cartravers
" »
jusqu’aux adaptations théâtrales.
Observations
Sur les feuillets de « notes de
travail », on voit qu’il y a au départ des textes issus de
projets antérieurs (par exemple des « chutes de
Commencement »),
des documents (le dossier sur l’affaire criminelle constitué par
le père de Christian Prigent), un ensemble de motifs, de figures et
de sites, des modèles formels et des « axes de travail » (« le réel comme
crime contre le sens », « le sang noir du réel noie le
sens, l’histoire, l’écriture »).
Les plans de Grand-mère Quéquette
où l’on reconnaît la structure du roman reprenant la
liturgie des Heures montrent le « farcissement » de ce
cadre temporel moins par des actions et des péripéties que par des
motifs, images et souvenirs littéraires. Les plans de Christian
Prigent ne définissent pas d’abord une armature narrative mais
listent par chapitre les références littéraires et picturales à
intégrer, ainsi que les textes déjà écrits à recycler. On
lit par exemple qu’il faudra dans la section I « Carrache /
Tintoret / Poussin », en IV : la « Peste
d’Athènes », en VI : le site de « Cartravers (in
Commencement) » et le « CRIME = Gadda,
Rimbaud, Monet (trou rouge) ». Le plan dessine ainsi un
parcours semé de motifs que l’écriture devra traverser, ou plutôt
emporter dans son mouvement. Écrire Grand-mère Quéquette,
c’est passer de cette liste des motifs au volume foisonnant que
l’on connaît.
Comme les autres livres,
Grand-mère
Quéquette recycle des documents très divers : articles
de presse (rubriques des « faits divers » ou de
vulgarisation scientifique), notice de médicament, prospectus
publicitaires, etc. Cet ensemble de documents glanés au cours de
l’écriture du roman montre qu’écrire, pour Christian Prigent,
ça n’est pas s’enfermer dans l’accomplissement d’un
programme mais au contraire entretenir un état de réceptivité
ironique qui permet d’accueillir des matériaux imprévisibles au
départ.