Affichage des articles dont le libellé est yoann-thommerel. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est yoann-thommerel. Afficher tous les articles

mardi 12 février 2019

Le nouveau TXT est arrivé !


Samedi 23 février 2019, de 15h à 17h au Reid Hall (4, rue de Chevreuse 75006 Paris) : soirée TXT, avec Jacques Demarcq, Bruno Fern, Typhaine Garnier Christian Prigent et Yoann Thommerel.
Et les voix de : Eric Clémens, Alain Frontier, Valère Novarina, Charles Pennequin et Jean-Pierre Verheggen.





Un quart de siècle après le dernier numéro et un demi après sa création post-soixante-huitarde, voici le « ressusciTXT » – selon le bon mot de Christian Prigent dans sa dédicace personnalisée –, revoici les TXThéoristes de la « communauté dormante » (p. 1)... Tous les principaux acteurs d’une aventure collective (1969-1993)[1]qui avait à ce point marqué la fin du siècle qu’elle avait donné naissance à un véritable label : Philippe Boutibonnes, Éric Clémens, Jacques Demarcq, Alain Frontier, Pierre Le Pillouër, Valère Novarina, Christian Prigent et Jean-Pierre Verheggen ; les artistes de Supports/ surfaces ne manquent pas à l’appel non plus, avec Pierre Buraglio qui donne de nouveaux contours au sigle « TXT » trente-cinq ans après, et les créations toniques de Daniel Dezeuze (Grotesque), Claude Viallat (Conan) et de Jean-Louis Vila (La Méduse et le Paon). Tous, excepté ceux qui se sont tournés vers d’autres horizons, comme Claude Minière (1938) ou Christian Arthaud (1956), et les disparus prématurément : Jean-Christophe Leuwers (1971-2001) ; Yves Froment (1939-2003) – dont Philippe Boutibonnes salue la mémoire à l’orée de ses « Moches z’heures ». Ainsi, en détournant un peu la dernière phrase du chef de file dans son introduction à l’anthologie de TXT : « TXT n’est pas mort, tout recommence autrement, le nouveau est invincible »[2].

Ces revenants vont-ils nous proposer ce qui au fond ne constituerait dans l’espace poétique actuel que d’ « autres piétinements » (cf. p. 45) / d’autres piètres niements ? Tout d’abord, un petit rappel : TXT, c’est un refus de la lissetérature – pour reprendre un néologisme de Dominique Meens, auteur P.O.L qui, adepte des écritures exigeantes, se joint logiquement au groupe –, une ascèse même et surtout carnavalesque visant à « vider la poésie de la poésie qui bave de l’ego, naturalise et mysticise, rêve d’amour et d’union, dénie obscurités, obscénités, chaos et cruautés, décore le monde et marche à son pas » (p. 1). La suite confirme que ce préambule, même s’il a été écrit à quatre mains, porte bel et bien le sceau de Christian Prigent, pour qui le temps est (re)venu de s’adresser à cet « énergumène symbolisateur » que constitue fondamentalement tout être humain. Car, plus que jamais nous sommes des séparés, maintenus à distance d’une expérience authentique du monde par le puissant écran d’une hypercommunication immondialisée. Et l’horrible trouvailleur (formule de Le Pillouër) de rappeler, en des termes à la fois pongiens et batailliens, la nécessité d’un réelisme poétique : « Notre monde, le monde informe des réseaux de communication, le monde lié, ne communique rien. Rien = clichés, humeurs, confidences, fake news. Dans le travail poétique, au contraire, l’expérience cherche ses formes propres, ses rythmes sensibles. On veut trouver des équivalents verbaux justes à ce qui, des vies, est mal nommé, mal pensé, non encore nommé. Et on regarde en face le mal (malaises, obscurités, folies, exploitations, coercitions, violences) » (p. 3). Aussi, relancer TXT avec les recrues du pôle caennais (Bruno Fern, Typhaine Garnier et Yoann Thommerel), mais aussi le peintre Mathias Pérez, ancien directeur des regrettées Fusées qui a donné au numéro une intrigante femme trouée, c’est assurer la survie de la revue moderne (un 33numéro est déjà en vue !), à laquelle, dès le début de l’aventure Fusées, l’ancien directeur de TXT assignait cette mission : « Le moderne est le spectre (hantise, dissolution, analyse, négatif) du présent comme fuite des significations hors du corps légendé (historisé ou futurisé) des pensées, des images et des langues. Dire le moderne c’est dresser la hantise de ce spectre au creux du dessin de ce qu’il hante : la vie programmée, formatée, comptée, boursicotée, publicitée, plébiscitée, médiatisée, idolâtrée.[3]» /Fabrice Thumerel/


*****
En mai 2019 paraîtra TXT n° 33, entremêlant une littérature qui cherche à produire un bruit neuf, des œuvres de plasticiens et des rubriques almanachiques : solutionnages miraculeux, célébrages farcesques, craductages trilingues, délectages littéraires et force décervelages pour chaque mois !
La Mél et la librairie Tschann s’associent au groupe TXT pour fêter ce retour à l’occasion d’une rencontre au Reid Hall. Entrée libre, dans la limite des places disponibles.
Directrice de la Mel : Sylvie Gouttebaron

Contact Presse : Lisette Bouvier
     l.bouvier@maison-des-ecrivains.asso.fr




[1]Grâce à José Lesueur, la série complète est disponible en ligne, hors-séries inclus : http://revue-txt.blogspot.fr. On pourra également se référer à Fabrice Thumerel, Le Champ littéraire français au XXesiècle, Armand Colin, 2002 ; « Revue et révolution littéraire : TXT(1969-1993) », p. 103-112.
[2]Christian Prigent, « Légendes de TXT », TXT 1969 / 1993. Une anthologie, Christian Bourgois éditeur, 1995, p. 10.
[3]Id., « Une revue de la vie moderne », Fusées, Carte Blanche, Auvers-sur-Oise, n° 4, 2000, p. 3. Cf. Fabrice Thumerel, « Fusées, une revue moderne », La Revue des revues, n° 34, 2003, p. 99-106.

mercredi 9 juillet 2014

[Recherche - actualité] Présentation du fonds Christian Prigent à l'IMEC, par Typhaine Garnier


Abbaye d'Ardenne (Calvados)



 Christian Prigent a confié ses archives à l'Institut mémoires de l’édition contemporaine en 2012. De nouveaux dossiers sont arrivés depuis : « La Vie moderne », « Les Enfances Chino », « Épigrammes » de Martial et « SILO » (essais et entretiens mis en ligne sur le site de POL). En complément des archives personnelles, l’IMEC constitue une bibliothèque d’étude regroupant les livres de Christian Prigent et les travaux universitaires portant sur son œuvre. Ressource extrêmement riche pour l’étude de l’œuvre prigentienne, le fonds offre aussi un matériau historique considérable sur l’activité des réseaux poétiques et artistiques « avant-gardistes » ou « expérimentaux » auxquels Christian Prigent participe depuis les années 1970.


L’archivage en bref : des cartons à l’inventaire

Après la phase de découverte (ouverture des cartons), il s’agit d’établir un « plan de classement » du fonds. À l’IMEC, les archivistes s’efforcent de respecter autant que possible les choix de classement opérés par les auteurs. Ce principe fut ici relativement facile à appliquer, car Christian Prigent a donné des archives ordonnées. Vient ensuite l’étape du reconditionnement : élimination des matériaux fortement dégradables (agrafes, trombones) et remplacement des chemises d’origine par des contenants en matériaux neutres. À chaque sous dossier sont attribués une cote et un code-barres qui permettront la communication des documents aux chercheurs. Ensuite commence le travail de description des archives. On ne décrit bien sûr pas chaque feuillet, mais des ensembles cohérents de documents. Au bout du compte, on obtient un inventaire complet qui doit permettre de se faire une idée assez précise du contenu du fonds.


Analyse du fonds 

Typhaine Garnier
Christian Prigent n’a donné à l’IMEC que les archives de l’écrivain. On trouve donc très peu d’archives familiales (seulement quelques documents « recyclés » dans les livres et les archives rassemblées pour le volume d’entretiens Christian Prigent, quatre temps, paru chez Argol en 2009). On ne trouve pas non plus les archives de l’activité d’enseignement de Christian Prigent. Les plus anciens textes de Christian Prigent présents dans le fonds sont des poèmes de 1963 (année de son entrée en classe d’hypokhâgne à Rennes). Les documents les plus récents datent de quelques mois.

Pour les œuvres littéraires, Christian Prigent a constitué des dossiers particuliers réunissant souvent une grande diversité de documents : notes et brouillons, croquis, documents exploités, correspondance et dossier de presse.
Les travaux sur Francis Ponge forment un dossier important comprenant les brouillons de la thèse La poétique de Francis Ponge (1969-1976), des articles postérieurs et la correspondance échangée avec Francis Ponge sur une vingtaine d’années. L’ensemble concernant l’activité théorique et critique de Christian Prigent réunit en outre un grand nombre d’articles parus depuis le début des années 1970 dans divers journaux et revues.
Les archives « sur la peinture » (désignation inscrite par Christian Prigent sur plusieurs volumineux dossiers) témoignent de l’importance de celle-ci dans l’œuvre de l’écrivain. Elles rassemblent la plupart de ses textes en rapport avec les arts plastiques, mais également des dossiers consacrés à des artistes dont les oeuvres l’ont intéressé, ainsi que des documents sur les expositions dans lesquelles il s’est impliqué.
Un ensemble de carnets et cahiers complète les archives de cette intense production littéraire et théorique.
Christian Prigent, Vanda Benes et Typhaine Garnier
Les interventions publiques de Christian Prigent sont elles aussi richement documentées par les notes préparatoires et les textes de nombreuses conférences, les contrats, les programmes des manifestations, les listes des textes lus, les agendas personnels, ainsi que par de nombreux enregistrements audio et vidéo (les premières lectures enregistrées datent de 1973).
Si le fonds comporte peu de documents sur TXT (les archives de la revue ayant été déposées en 2002 à la Bibliothèque Jacques Doucet), on y trouve en revanche un ensemble important concernant la collection « Muro Torto » fondée à Rome en 1979.
La correspondance comprend des lettres de plus de cent cinquante scripteurs, parmi lesquels figurent des personnalités éminentes, des éditeurs et de nombreux amis écrivains, philosophes et artistes.
Également très fourni, le dossier critique comprend des travaux universitaires portant sur l’œuvre de Christian Prigent ou sur TXT, des documents de préparation des dossiers consacrés à Christian Prigent dans des revues1, ainsi que de nombreux articles de presse.
Répartie dans les différents ensembles, une riche documentation iconographique complète le fonds (photographies d’écrivains et artistes proches, originaux des documents utilisés ou reproduits dans les livres).

Usages des archives

« Je ne me suis bien évidemment pas placé d’emblée dans la perspective d’une conservation de ces paperasses (à des fins « historiques ») », lit-on dans L’Archive e(s(t l’œuvre e(s)t l’archive (IMEC, 2012, p. 13). Les archives données à l’IMEC ne représentent qu’une partie de ce qui a été amassé et écrit par Christian Prigent. 2 Plutôt que le détail de cette genèse, les archives donnent à voir la fabrique prigentienne, le modus operandi habituel par montage et recyclage de documents.3 Déménagements successifs et dégât des eaux ont réduit le volume. Pour les livres écrits depuis l’adoption de l’ordinateur, la plupart des états successifs des textes sont passés à la corbeille informatique. Il en va de même pour les documents utilisés : leur intérêt disparaît généralement une fois qu’ils ont été avalés par l’œuvre. Comme le souligne Christian Prigent, l’importance des lacunes empêche une exploitation strictement génétique des archives qui se proposerait de reconstituer pas à pas la création de tel ou tel livre.

Mais par la diversité des documents donnés à l’IMEC, le fonds n’est pas seulement la mémoire de cette fabrique. Les dossiers de presse constitués très tôt par Christian Prigent et les enregistrements des émissions auxquelles il a participé permettent par exemple d’étudier la réception de ses livres sur plus de quarante ans. À travers les documents relatifs aux diverses interventions  de Christian Prigent, il est possible de suivre la présence publique de l’écrivain depuis la fin des années 1970. On pourra étudier aussi la pratique de la voix grâce aux nombreux enregistrements de travail que l'auteur a lui-même réalisés.

3 juillet 2014 : Yoann Thommerel fait visiter la bibliothèque de l'IMEC à ses invités du colloque de Cerisy, "Christian Prigent : trou(v)er sa langue" (dir. : B. Gorrillot, S. Santi et F. Thumerel)
 

Un échantillon : les archives de Grand-mère Quéquette

        Une exposition d’archives échappe difficilement à la tentation d’esthétisation des « beaux » manuscrits. Entre deux feuillets d’intérêt équivalent, on retient plutôt celui qui a de belles ratures en couleurs. Le choix de montrer les archives d’un seul livre visait à contrer cette tentation.

Depuis sa publication en 2003, Grand-mère Quéquette s’est bien installé dans le paysage littéraire. Situé au milieu du cycle narratif ouvert par Commencement (1989), ce livre a eu et continue d’avoir des échos divers : remarqué dans la presse lors de sa parution en 2003, il a fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales et suscite depuis quelques années l’intérêt des chercheurs. Conséquence de ce rayonnement, les archives de Grand-mère Quéquette sont particulièrement riches : elles rassemblent non seulement des documents montrant diverses étapes de l’écriture, mais aussi des archives « brutes » (images et textes exploités) et de nombreux documents relevant de la réception du livre (lettres, articles de presse, etc.). Elles offrent ainsi un aperçu de la vie du roman, depuis les premières notes pour ce qui s’appelait alors « projet "Cartravers" » jusqu’aux adaptations théâtrales.



Observations
Sur les feuillets de « notes de travail », on voit qu’il y a au départ des textes issus de projets antérieurs (par exemple des « chutes de Commencement »), des documents (le dossier sur l’affaire criminelle constitué par le père de Christian Prigent), un ensemble de motifs, de figures et de sites, des modèles formels4 et des « axes de travail » (« le réel comme crime contre le sens », « le sang noir du réel noie le sens, l’histoire, l’écriture »).
Les plans de Grand-mère Quéquette où l’on reconnaît la structure du roman reprenant la liturgie des Heures montrent le « farcissement » de ce cadre temporel moins par des actions et des péripéties que par des motifs, images et souvenirs littéraires. Les plans de Christian Prigent ne définissent pas d’abord une armature narrative mais listent par chapitre les références littéraires et picturales à intégrer, ainsi que les textes déjà écrits à recycler. On lit par exemple qu’il faudra dans la section I «  Carrache / Tintoret / Poussin », en IV : la « Peste d’Athènes », en VI : le site de « Cartravers (in Commencement) » et le « CRIME = Gadda, Rimbaud, Monet (trou rouge) ». Le plan dessine ainsi un parcours semé de motifs que l’écriture devra traverser, ou plutôt emporter dans son mouvement. Écrire Grand-mère Quéquette, c’est passer de cette liste des motifs au volume foisonnant que l’on connaît.

Comme les autres livres, Grand-mère Quéquette recycle des documents très divers : articles de presse (rubriques des « faits divers » ou de vulgarisation scientifique), notice de médicament, prospectus publicitaires, etc. Cet ensemble de documents glanés au cours de l’écriture du roman montre qu’écrire, pour Christian Prigent, ça n’est pas s’enfermer dans l’accomplissement d’un programme mais au contraire entretenir un état de réceptivité ironique qui permet d’accueillir des matériaux imprévisibles au départ.




1 Java, n° 5 ; Faire part, n° 14/15 ; Il Particolare, n°4/5 et 21/22.
2 « Des étapes du travail sur chaque livre ne reste la plupart du temps d’une part que les premiers cahiers ou carnets […], d’autre part les toutes dernières étapes (sorties d’imprimantes avec corrections marginales), où les éléments montés sont déjà intégrés et homogénéisés par le phrasé d’ensemble. Mais rien qui permette vraiment de suivre pas à pas la fabrication » (L'Archive..., op. cit., p. 12-13).
3 «  […] je suis toujours parti de documents (écrits ou images). Ensuite : extraction des documents de leur contexte [ …] ; insertion dans un autre contexte (le texte en cours) ; articulation à une composition d’ensemble ; et, la plupart du temps, transformation par diverses manipulations rhétoriques, descriptions décalées, commentaires méta-techniques, déplacements homophoniques, etc. À chaque fois dans cet ordre et sous cette forme dynamique : sélection / extraction / insertion / articulation / transformation » (ibidem, p. 18).
4 On lit par exemple : « voir, comme modèle de structure (et articulation carnavalesque des fragments narratifs, poétiques, dialogués…), le Tête de nègre de Maurice Fourré ».