* À
paraître le 14 novembre : Christian Prigent,
La Langue et ses monstres
(nouvelle édition, P.O.L : 11 textes relus + 9 textes en plus).
La Langue et ses monstres est un recueil de vingt essais portant sur des écrivains de la « modernité ».
Les onze premiers figuraient dans l’édition princeps de l’ouvrage (chez
Cadex, en 1989). Ils concernent d’abord quelques figures emblématiques
du XXe siècle : Gertrude Stein, Burroughs, Cummings, Khlebnikov,
Maïakovski ; puis des vivants remarquables apparus dans le dernier
quart dudit siècle : Lucette Finas, Hubert Lucot, Claude Minière, Valère
Novarina, Marcelin Pleynet, Jean-Pierre Verheggen.
Ces textes
avaient été rédigés entre 1975 et 1988 dans le contexte des débats
d’époque (la fin des avant-gardes historiques et l’effort de
quelques-uns pour maintenir, envers et contre toute liquidation
réactionnaire, l’exigence d’expérimentation littéraire). Tous ont été
repris et corrigés dans l’intention d’en éliminer le plus crispé par les
polémiques du temps et le plus marqué par un vocabulaire théorique
daté. Le même objectif a conduit à éliminer pour cette réédition le
préambule et le bilan de l’édition originale.
Les neuf essais
suivants ont été composés entre 2005 et 2014 pour des revues, des
préfaces, des actes de colloques. Tous ont été refondus pour la présente
édition. Ils réfléchissent sur Jouve, Artaud, Ponge, Pasolini, Jude
Stefan, Bernard Noël, Éric Clémens, Christophe Tarkos. De Jouve à Tarkos
(1990) ils encadrent donc historiquement les onze textes qui précèdent.
Du point de vue de la théorie littéraire et de l’analyse stylistique,
ils tentent de réfléchir sur ce qui constitue, en dehors de toute
préoccupation « avant-gardiste », un effort « moderne » d’invention
écrite. Et ce jusqu’à l’apparition récente des textes de Christophe
Tarkos, qui nous ont invités à repenser, une fois de plus, les causes et
les effets de cet effort.
Ce livre n’est donc pas qu’une réédition
mais, largement, un ouvrage nouveau. On y trouve des propositions sur
les fameuses « grandes irrégularités de langage » (Georges Bataille)
inventées par les poètes les plus déroutants du XXe siècle : les
poétiques « anamorphosées » de Cummings ou de Bernard Noël, l’érotisme à
la fois savant et énergumène de Pierre Jean Jouve ou de Jude Stefan, la
« violangue » telle que la pratique un Jean-Pierre Verheggen, le «
babil des classes dangereuses » réinventé par Valère ovarina, le « jeu
de la voix hors des mots » dans les poèmes zaoum de Khlebnikov, les «
glossolalies » façon Antonin Artaud, le « cut up » de William Burroughs,
etc.
Mais, au delà, bien d’autres questions sont évoquées : le
rapport littérature/science/philosophie (chez Sade ou chez Clémens), le
lien entre les choix stylistiques et les postures politiques (chez
Maïakovski, Ponge ou Pasolini), l’articulation entre les monstrueuses
reconfigurations verbales que pratiquent tous ces auteurs (ainsi
Vélimir Khlebnikov ou Antonin Artaud), les crises subjectives dont elles
sont l’effort de résolution et l’impact qu’elles rêvent envers et
contre tout d’avoir sur le corps social qui en reçoit les coups.
Le
pari est que ces questions ne sont pas, quoi qu’on en dise ici et là, de
vieilles lunes. Mais des interrogations fondamentales. Fondamentales en
tout cas pour les lecteurs qui ne se contentent pas de fables
distrayantes, de sociologie romancée ou de suppléments « poétiques » à
la rudesse des vies. Fondamentales pour ceux qui voient dans la
littérature une expérience radicale de ce qui nous parle et nous
assujettit. Une expérience qui n’a d’intérêt que si ses voix
excentriques traversent les représentations couramment admises pour
composer de nouveaux accords avec le désir des hommes, leur angoisse,
leur sensation d’un monde vivant.
Ceux dont parle
La Langue et ses
monstres ont relevé ce défi. L’auteur des essais qu’on trouve dans ce
livre a d’abord tenté de se rendre plus clairs les effets que quelques
oeuvres « monstrueuses » exerçaient sur lui. Cet effort a fait lever des
questions : de quoi parlent ces oeuvres qui nous mènent « au bord de
limites où toute compréhension se décompose » (Bataille) ? quel « réel »
représentent-elles dans leurs étranges portées ? de quelle nature est
la jouissance sidérée qu’elles provoquent en nous ? de quels outils
disposons-nous, et quels autres devons-nous forger pour en déchiffrer
les intentions ? en quoi ce déchiffrement peut-il nous aider à mieux
évaluer ce dont on parle en fait quand on parle de littérature
(l’ancienne comme la moderne et aussi bien la plus contemporaine).