jeudi 23 novembre 2023

[Hommage] In memoriam : Jean-Pierre VERHEGGEN (6 juin 1942 – 8 novembre 2023)

 In memoriam : Jean-Pierre VERHEGGEN (6 juin 1942 – 8 novembre 2023)

 


Dans une lettre du 28/03/1969, juste après leur rencontre, Christian Prigent l’évoque ainsi : « Bien enregistré ta gueule blonde et barbue, sacré Christ rondouillard et belge (« comme ses pieds », disait Baudelaire) » (extrait de lettre faisant partie intégrante de la sélection que Jean-Pierre Verheggen avait présentée à Cerisy en 2014 : « Le « bien touillé » »). C’était le lancement de TXT.


Caricature de Christian Prigent, 1971


 On pourrait voir un précipité de sa trajectoire dans ces titres de recueils : Le Degré Zorro de l’écriture (Christian Bourgois, 1978) ; Ridiculum vitæ précédé de Artaud Rimbur (Gallimard, « Poésie », 2001) ; On n’est pas sérieux quand on a 117 ans (Gallimard, 2001) ; L’Idiot du Vieil-Âge (Gallimard, 2006) ; Un jour, je serai Prix Nobelge (Gallimard, 2013) ; Le Sourire de Mona Dialysa (Gallimard, 2023)…


Verheggen et Prigent, Rome, 1980 (photo de Denis Roche)


 

Inventive et vivifiante, cette œuvre est tout sauf une poésie de divertissement facile. Dès Ceux qui merdRent (P.O.L, 1991), Christian Prigent s’érige à l’encontre d’un certain malentendu :

 

Jean-Pierre Verheggen passe encore généralement pour un écrivain comique, un spécialiste du gag verbal, une sorte de Rabelais ou de Brueghel moderne dont l’œuvre se réduirait à l’alignement gratuit des calembours, cette « fiente de l’esprit », comme disait Hugo. [...]

 

Cet argument a sans doute aujourd’hui d’autant plus de poids que cette manie du jeu de mots facile (voire, comme on dit, « débile ») est devenue une mode d’époque [...] au moins peut-on voir là que la marginalité poétique exerce, mal gré qu’on en ait et quelque « crise » qu’elle traverse, une « influence » réelle [...] (p. 233). 

 

Ce que Verheggen propose, ce ne sont pas quelques calembours choisis (pour leur pertinence, leur réussite) mais des litanies cataclysmiques de calembours devant lesquelles on a envie de crier « n’en jetez plus ! » parce que cet épandage cacophonique et souvent scatologique fait merder tout ce qui nous reste d’assurance quant à la sécurité du goût littéraire. Le flux des calembours nous jette dans une sorte de phrasé à la fois nappé, dérapant et cahotique, une vitesse d’emportement où chaque jeu importe moins que l’énergie du flux lui-même. Cette vitesse a moins pour but la production du sens (entre autres, éventuellement, du sens surprenant que produit chaque calembour) que la résistance panique à la constitution du sens tel que le construit la probabilité croissante des séquences écrites (p. 236).

Prigent et Verheggen, Cerisy, 2014