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jeudi 4 juin 2015

[Actualités] Le désir de littérature avec Christian Prigent, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

"Le désir de littérature, en somme"


Retour sur "Le désir de littérature, en somme" (soirée Remue.net à la Maison de la poésie Paris animée par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel, autour de Christian Prigent et de Bruno Fern, vendredi 22 mai 2015, de 20H à 22H) : vidéos de Vanda Benes. Les extraits vidéos des lectures et dialogues sont accompagnés de photos (quatre de V. Benes et quatre de Marie-Hélène Dhénin) et de présentations/résumés établis par B. Gorrillot et F. Thumerel. [Intégrale audio à écouter sur Remue.net]



Lectures de Christian PRIGENT :
Extrait 1 ; extrait 2 ; extrait 3 ; extrait 4 ; extrait 5.

Lectures de Bruno FERN :
Extrait 1 ; extrait 2.

Bénédicte Gorrillot lisant Christian Prigent : écouter.

Présentation 
 
Dans sa contribution à l’ouvrage collectif L’Illisibilité en
questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
« L’expérience du sens, on ne la fait pas directement face à la vie qu’on mène mais face aux discours qui nous disent quelque chose de cette vie. Je perçois du sens quand je lis un ouvrage de philosophie, un essai savant, une analyse politique. Et quand je perçois ce sens je perçois généralement aussi ce que son bâti rationnel et la positivité des énoncés qui le construisent ont de décevant. Au moment même où je saisis son sens, je perçois l’inadéquation de ce sens à la façon dont le monde, moi, singulièrement, m’affecte. Autrement dit : la lisibilité du propos me le fait, dans une large mesure, éprouver comme du parler "faux". Et cette épreuve est même sans doute ce qui fait lever en moi le désir d’un autre mode d’approche de la vérité, d’une autre posture d’énonciation, d’un autre traitement des moyens d’expression : le désir de littérature, en somme. »

Cette soirée va avoir pour but d’interroger cette formule : « Le désir de littérature, en somme ».
Portrait par Marie-Hélène Dhénin
Que veut dire Christian Prigent ? Qu’entend-il plus précisément par cette « littérature désirée » ? Est-ce plus clairement un « désir de poésie » ? Et donc qu’est-ce que la littérature (ou la poésie) pour lui ?
Et pourquoi ce « en somme » ? Qu’est-ce que ce « en somme » signale ? Comme synonyme d’un « malgré tout », signale-t-il un pis-aller ? une résistance ? un combat ? des oppositions dont il faut venir à bout ? Quelles sont ces oppositions à la littérature-selon-son-désir ? Comment les explique-t-il ?
Met-il derrière ces mots (« le désir de littérature, en somme »), en 2015, le même contenu qu’il mettait en 2008 à San Diego ? ou en 1989 dans la première publication, chez Cadex, de La Langue et ses monstres (augmenté et réédité en 2014 chez POL) ?
Bref, cette formule titrant notre soirée pose deux questions (intimement mêlées) : qu’est-ce qu’écrire (et faire-littérature) pour Prigent ? comment imposer malgré tout un écho public à cette littérature a priori en opposition à un consensus peu favorable – c’est-à-dire en opposition à un certain public (le grand public) qui brandit vite l’accusation d’illisibilité de cette littérature ?

Pour répondre à toutes ces questions, soulevées par le titre de la rencontre de ce soir, Christian Prigent va dialoguer avec les deux universitaires et critiques que nous sommes, mais aussi avec l’un de ses collègues d’écriture, Bruno Fern, lui aussi confronté à cette question de l’illisibilité poétique, tant comme lecteur d’autres poètes – et notamment de Christian Prigent –, que comme auteur de poèmes.
La présence des deux écrivains va notamment permettre un retour croisé immédiat de lectures : d’un côté, comment B. Fern perçoit-il l’écriture-Prigent et son éventuelle « illisibilité » ? En quoi Prigent pourrait-il être éventuellement « illisible » pour lui ? D’un autre côté, comment C. Prigent perçoit-il l’écriture-Fern ? et quelle serait, pour lui, son éventuelle illisibilité ? De fait, il sera aussi intéressant de voir les réponses personnelles que B. Fern pourra apporter de son côté au double questionnement qui nous occupe : pour lui, « le désir de littérature, quel est-il ? et pourquoi est-il ou serait-il illisible ? Pourquoi aurait-il à lutter pour exister malgré tout ?
Pour éviter des discussions trop abstraites, nous avons choisi de vous faire entendre des pages de nos deux poètes, choisies parce qu’elles posent cette double question de l’idéal littéraire (ou poétique) recherché et d’une résistance à un consensus mortifère pour la littérature.
Ainsi nos moments de réflexions théoriques seront rythmés par des lectures très aimablement réalisées par nos deux créateurs.

Photo de Marie-Hélène Dhénin


Trois interventions de Bénédicte Gorrillot


Quelle est l’illisibilité de L’âme ? Est-ce parce que ce recueil de 2000 incarne de façon peut-être radicale votre définition du « désir de littérature » (« Du sens de l’absence de sens ») ?


Je résume : L’Âme est-il très illisible parce que les poèmes n’y parlent plus du monde ou de
Bénédicte Gorrillot à l'uvre...
l’homme mais uniquement - autoréférentiellement - de l’impossibilité de toute parole juste du monde ou de soi ? Et ce narcissisme linguistique central n’est pas compris comme légitime (c’est-à-dire comme « poétique » ou « novateur ») ou est difficile à déchiffrer entre les lignes ?


A écouter, par contraste avec la page 79 de L'âme (né d’une circonstance érotique), le poème de Météo des plages qui a été lu (extrait de la section « Tentative d’une idylle ») , faut-il penser que Météo des plages (2010) est aussi illisible que L’Âme (2000) ?


Parce que, ici, il semble qu’un récit événementiel (érotique) (bref un signifié extérieur) fasse retour sur le devant de la scène qui appuie (qui facilite ?) le récit autoréférentiel… parce que les effets humoristiques de réécriture parodiques ou carnavalesques (des clichés du cinéma sexy) font oublier l’amertume de la leçon d’impuissance linguistique à dire le vécu érotique… ?



Je reviens au « en somme » : nous l’avons interprété jusqu’ici comme force de résistance (souvent par rupture) au consensus public (au bon goût dominant ou aux modes dominantes) : et le geste littéraire était synonyme de violentement, de bris « des lignes grammaticales », comme disaient Burroughs et les cut-upers américains qui vous ont aussi inspiré à un certain moment de votre écriture.


Mais « en somme » me paraît prévenir d’un rapport plus complexe et plus ambigu du créateur rupteur à la communauté qu’il veut bousculer. « En somme » n’implique-t-il pas aussi un certain art du compromis avec la communauté à bousculer, et il s’agit là d’un art nécessaire ?


Photo de Marie-Hélène Dhénin
Par exemple, le premier compromis ne serait-il pas d’expliquer par des commentaires écrits a posteriori ces pages illisibles ? Pour s’imposer réellement, l’illisibilité, la littérature irrégulière (indigérable, contre les normes) doivent-elles allier à la violence de leur énonciation l’entreprise pédagogique d’explication et doivent-elles accepter la langue normée pour diffuser (pour publier) leur a-normalité ? Je pose cette question à cause de l'alternance entre théorie et pratique : Ecrit au couteau tout comme Commencement sont suivis par leur légitimation dans Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature… Bref, peut-il y avoir « publication réelle d’une grande irrégularité de langue » sans théorisation en langue normée de cette irrégularité (ce qui peut sembler un paradoxe) ?



Faut-il s’expliquer ainsi (lien nécessaire de compromis pédagogique avec la communauté à convaincre) votre souci de théoriser l’illisibilité des autres poètes « irréguliers », en sorte d’assurer leur publication (= leur diffusion publique, la diffusion-compréhension de leur illisibilité corrosive) ? Je pense à vos études sur de nombreux contemporains (ou moins contemporains) dans La langue et ses monstres (1989 et 2014), dans Une erreur de la nature (1995) ou Salut les anciens, salut les modernes (2000)…

Intervention de Bruno Fern (par F. Thumerel) 


Bruno FERN, c'est Ici poésie : association des lectures publiques de Caen, à laquelle il participe depuis 2001.
Bruno FERN, c'est « la contrainte faite style », pour reprendre une expression de Typhaine Garnier sur Libr-critique – site auquel il participe du reste comme chroniqueur (il fait d'ailleurs le trait d'union avec Remue.net et un autre site dirigé par un ancien de TXT, Sitaudis de Pierre Le Pillouër).
Portrait par M.-H. Dhénin
Depuis 2007, il a publié 7 livres, dont Des figures (éditions de l'Attente, 2011), Reverbs (Nous, 2014) et Le Petit Test (Sitaudis, 2015).
Marqué par Jude Stéfan qu'il a eu la chance d'avoir comme professeur, l’auteur de Reverbs et du Petit Test – dans lesquels il retraite des matériaux discursifs en se fixant des contraintes, qu’il nomme "machines à fabriquer des grains de sable" – se retrouve dans la conception prigentienne de l’illisibilité : dès lors qu’on s’efforce d’écrire – au sens fort du terme -, s’impose "la fatalité de l’obscurité". C'est pourquoi il prend ses distances par rapport à Oulipo, se méfiant du ludisme et d'une conception de la contrainte comme simple règle du jeu.




 À venir...

Christian Prigent à Lyon. Vendredi 05 Juin, 20h. « Un écrivain dans le monde des revues : Christian Prigent et l’aventure TXT ». Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 8 bis quai Saint-Vincent, 69001 LYON. Informations : livraisons.rhonealpes@gmail.com / 06-88-24-20-06.
 
LA VILLE BRÛLE, BERLIN SERA PEUT-ÊTRE UN JOUR
Rencontre avec Christian Prigent (auteur), Patrick Suel (libraire) et Marianne Zuzula (éditrice) autour du livre Berlin sera peut-être un jour de Christian Prigent (éditions La ville brûle, 2015)
Le mercredi 17 juin 2015 à 19 h à l’Institut français de Berlin http://www.institutfrancais.de/…/berlin-sera-peut-etre-un-j…

► On consultera avec intérêt le Fonds Prigent à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine).

dimanche 12 octobre 2014

[Chronique] Six jours autour de Christian Prigent à Cerisy (1/6)

L'appel traditionnel de la cloche cerisyenne : le colloque peut commencer...



Tandis que, en cet automne, les participants au colloque "Christian Prigent : trou(v)er sa langue" - qui s'est déroulé à Cerisy du lundi 30 juin au lundi 7 juillet 2014 - sont en train de peaufiner leur travail pour une publication des Actes fixée au premier trimestre 2016, voici, en présentations, vidéos, audios et photos, un aperçu précis de ce qui a eu lieu (six posts pour six jours pleins).


© Photos : Françoise Bauduin, Vanda Benes, Mélanie Blondel, Marie-Hélène Dhénin, Typhaine Garnier, Bénédicte Gorrillot, Ginette Lavigne, Fabrice Thumerel et Justine Urru.
* Vidéos : postées sur Daily motion par Vanda Benes, directrice de La Belle Inutile.
* Audios : service technique du centre de Cerisy-la-Salle.

N.B. : photos insolites sur le blog de Françoise Bauduin, Lieux-dits ; reportage photo et vidéos sur le blog La Belle Inutile.

MARDI 1er juillet 2014

Ouverture du colloque

Bénédicte GORRILLOT, "Histoire d'un colloque : pourquoi plutôt la langue ?" [écouter]

Fenêtre ouverte : vues sur PRIGENT...

Séance 1 - Le réelisme de Christian Prigent

* La Voix de Christian Prigent : "Ce que m'a dit l'ange", Une phrase pour ma mère.



Lecture de l'auteur, avant la première conférence (F. Thumerel)

* Fabrice THUMEREL, « Réel : point Prigent. (Le réalisme critique dans la "matière de Bretagne") »

Dans la première version de L'Incontenable (P.O.L, 2004), intitulée Réel : point zéro (Weidler Buchverlag, Berlin, 2001), Christian Prigent formule cette définition qui a fait date: "J'appelle 'poésie' la symbolisation paradoxale d'un trou. Ce trou, je le nomme 'réel'. Réel s'entend ici au sens lacanien : ce qui commence 'là où le sens s'arrête'. La 'poésie' tâche à désigner le réel comme trou dans le corps constitué des langues". Et de compléter cette conception négative du travail poétique entendu au sens large du terme, c'est-à-dire par delà les frontières entre les genres institués : "la poésie vise le réel en tant qu'absent de tout bouquin. Ou : le réel en tant que point zéro du calcul formel qui fait texte" (p. 11). En milieu prigentien, ce réel-point zéro qui constitue le point d'asymptote de la poésie et de la référentialité a pour nom Dieu, Nature ou corps : innommable, le réel n'existe qu'en langue (réel-en-langue) ; inatteignable, ce point zéro rend paradoxal tout réalisme - l'objectif visé se dérobant sans cesse (et c'est ce ratage même qui constitue l'écriture). Il s'agira ici d'étudier la façon dont l'ôteur, dans les fictions ressortissant à la "matière de Bretagne" (Commencement, Une phrase pour ma mère, Grand-mère Quéquette, Demain je meurs et Les Enfances Chino), dépasse l'antinomie entre formalisme et expressionnisme pour aboutir à un réalisme critique qui consiste à ne pas prétendre appréhender directement la réalité sociale ou l’expérience humaine, mais à la viser obliquement ; la façon dont il troue les discours pour trouver une langtourloupe faite de phrasés scriptosensoriels et de dérapés carnavalesques. /FT/

- La discussion a porté sur les dimensions dialectique, mathématique et physique du zéro ; sur l'équilibre des contraires dans cette écriture ; la dialectique entre dérobade et recommencement, sublime et trivial...


Avec le sourire, les secrétaires sont en place : Justine Urru et Mélanie Blondel.

Séance 2 - La langue de la division : torsions, excès

* La voix de Christian Prigent : "L'Écriture, ça crispe le mou", in Commencement ; "104 slogans".

* Chantal LAPEYRE-DESMAISON : Ratages et merveilles : le geste baroque de Christian Prigent

Ratage et réussite, grâce et laideur sont des termes difficiles à manier 
quand on parle de littérature (Christian Prigent, Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas
Entretiens avec Hervé Castanet, Cadex, 2004, p. 125).

"Le réel n’est pas pour lui ce qu’on figure - mais ce qui défigure", écrit Christian Prigent à propos de Daniel Dezeuze, dans Rien qui porte un nom. De cette défiguration toute son œuvre porte trace ; cette communication vise à en suivre la manifestation dans deux textes inclassables et une fiction, liés par un souci commun de dire le réel de l’amour et du sexuel : "Roue, roue voilée, roue en huit", paru dans Figures du baroque (Jean-Marie Benoist dir., PUF, 1983), Deux Dames au bain avec portrait du donateur (L'Un dans l'Autre, 1984), et dans la fiction Le Professeur (Al dante, 1999). Les deux premières œuvres sont présentées explicitement comme des ratages par Christian Prigent, nés du nécessaire affrontement à deux impossibles (comme deux visages du même), incessamment convoqués dans l’œuvre du poète: l’impossible à voir - que reconduit la peinture - et l’impossible à dire - au cœur de la création littéraire. Cette expérience singulière confère aux œuvres, aux genres, aux "postures d’énonciation" qui acceptent d’en témoigner une étrange torsion. La confrontation, pleinement assumée comme telle, à l’irreprésentable du représenté, à l’indicible du dire, le réel, à la fois cause et objet, seraient-ils les noms du baroque aujourd’hui, permettant de repenser ainsi ce concept au-delà de toutes les querelles historiennes et esthétiques qui l’ont révoqué en doute ? /CLD/

- Suite à cette communication qui se voulait un dialogue avec Hervé Castanet - malheureusement absent -, les débats se sont concentrés sur le réel comme infini déploiement du ratage verbal, l'art du ratage, l'économie de la jouissance, les liens entre les deux textes retenus de Prigent...

Séance 2 : à droite de la présidente de séance Bénédicte Gorrillot, Chantal Lapeyre et Dominique Brancher.


* Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande, mouches à langue dans l'œuvre de Christian Prigent

Il s’agira de lire Prigent à travers Rabelais et Rabelais à travers Prigent, faisant à chacun porter le masque de l’autre pour les faire dialoguer sur une scène carnavalesque où le masque peut se faire braguette, "outre la grandeur naturelle [de leurs pièces]" (Montaigne), ou toque magistrale. Car chez l’un comme chez l’autre "le savoir le plus poussé" côtoie la "trivialité [la plus] obscène" (Ceux qui merdRent) : il faut autant y saisir ce que le badinage comporte de gravité qu’y lire à "plus bas sens" la jactance spiritualiste. On peut hésiter cependant sur la nature du masque prigentien - s’agit-il du discours tenu sur Rabelais, figure iconique d’une pratique excessive de la langue qui désigne comme innommable le réel qui l’excède ? Ou s’agit-il d’une pratique d’écriture, souvent qualifiée de rabelaisienne par la critique, alors même que Prigent entretient avec Rabelais une relation d’ordre essentiellement "fantasmatique", selon son propre terme ? Il affirme en effet l’avoir très peu lu, sort réservé aux auteurs qui lui plaisent "trop" (Une erreur de la nature). Ne pas lire, dans la perspective prigentienne, c’est peut-être lire en creux un texte pour ce qu’il n’arrive pas à dire et qu’il désigne comme son impossible, c’est pratiquer une lecture excessive, outre-texte, parfois médiatisée par d’autres regards critiques. Ainsi le Rabelais de Prigent a-t-il d’abord été celui de Bakhtine. On s’intéressera à la résurrection de Rabelais par Prigent et au déplacement de Prigent sous la poussée rabelaisienne, entre mémoire, fantasme et invention. On envisagera ce trouble sous le double aspect du parler caca et du parler cochon./DB/

- Dans la discussion, ont été abordés le rapport entre saturation baroque et saturation carnavalesque ; la rhétorique du circum ; les rapprochements possibles entre mouches à viande / à langue et la mouche du coche (Maupassant), le rimbaldien bourdonnement farouche...

Soirée - Lecture de Christian Prigent (écouter)

vendredi 20 juin 2014

[Actualité] Colloques : L'Illisibilité en questions ; Christian Prigent : trou(v)er sa langue, par Fabrice Thumerel

 
Christian Prigent et Vanda Benes à Quimper en 2011

Du lundi 30 juin au lundi 7 juillet 2014 / Christian Prigent : trou(v)er sa langue, colloque international de Cerisy sous la direction de Bénédicte Gorrillot, Sylvain Santi et Fabrice Thumerel

♦ Modification du programme : Nous avons le regret d'enregistrer les forfaits de Tristan Hordé, de Vincent Vivès et de Daniel Dezeuze ; le mardi 1er juillet après-midi, c'est donc Dominique Brancher qui intervient ("Dégeler Rabelais. Mouches à viande et mouches à langue dans l'œuvre de Christian Prigent") et le vendredi 4 juillet après-midi Typhaine Garnier, "L’écrivain aux archives ou le souci des traces : « c’est quoi qu’on a été, qu’on est, qu’on sera ? » (Commencement, POL, 1989, p. 27). "

♦ Il reste des forfaits à la journée : 35 €/jour déjeuner compris ou 54 € déjeuner et dîner compris.
Pour une participation uniquement aux séances il est demandé 16 €/jour (soit 8 € par matinée ou après-midi).
A cela il convient d’ajouter la cotisation associative obligatoire ramenée au tarif étudiant de 10 € pour les personnes de région.
S’inscrire au préalable en renvoyant le bulletin qui se trouve à la page suivante du site internet : http://www.ccic-cerisy.asso.fr/bulletininscription.html, en réglant les frais de cotisation et de séance(s) ainsi qu’en précisant ses dates de venues.

CCIC
Tél : 02 33 46 91 66
Fax : 02 33 46 11 39


Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., L'Illisibilité en questions, Actes du colloque de San Diego (USA), avec Michel Deguy, Jean-Marie Gleize, Christian Prigent, Nathalie Quintane, Presses Universitaires du Septentrion, Université de Lille III, printemps 2014, 316 pages, 28 €.
[Christian Prigent, "Du sens de l'absence de sens", p. 31-36 ; chap. 2 : "Les Trouées Christian Prigent", p. 97-138]

"Prigent l'illisible", titraient Les Nouvelles Littéraires en 1982, au moment où la revue TXT déton(n)ait dans un champ littéraire désormais "postmoderne". Dans son passionnant entretien avec Bénédicte Gorrillot, "Du droit à l'obscurité", l'auteur reconnaît du reste bien volontiers que, dès la fin du siècle, le discours théoriciste des avant-gardes est devenu "illisible". Ce qui ne l'empêche pas de continuer à revendiquer une certaine forme d'illisibilité : dès lors que la langue est ce qui nous sépare du monde, celui qui veut rendre compte de son expérience singulière ne peut le faire que dans une langue étrangère aux discours ambiants. Mais une autre forme d'illisible frappe l'écrivain : Demain je meurs (P.O.L, 2007) lui a parfois paru non lisable car trop lisible (comment réussir une performance orale lorsque "la phrase (mimétique) domine le phrasé (la « poéticité » )" (p. 111) ?

Dans "Du sens de l'absence de sens", Christian Prigent rappelle d'ailleurs diverses significations de l'étiquette "illisible" : ennuyeux, littérairement indigne, "illisible à force d'être trop lisible", hermétique, impartageable parce que idiomatique, daté... Il revient ensuite sur ses propres options : "l'illisibilité est intrinsèque à ce type de rapport particulier à la langue et au réel qu'on appelle littérature" (p. 33). Cette "indécision du sens" revêt évidemment une dimension critique : "Écrire répond à un refus d'être l'otage des fictions que la parole commune, les représentations idéologiques et les croyances qui s'y stratifient tentent de nous faire prendre pour la réalité" (35). En somme, le véritable écrivain serait en quête d'une langue plus "authentique". Mais qu'est-ce qu'une langue véritable ? "Une langue « plus vraie » serait une langue sachant dire qu'il n'y a pas de « vraie langue » " (p. 125), répond Olivier Penot-Lacassagne dans ses notes sur Glossomanies (1996).

Et si "illisible" signifiait incompréhensible par un seul lecteur ? Pour Hugues Marchal, Christian Prigent est un "auteur impossible" (Valery) qui suscite une figure de lecteur impossible ; d'où la nécessité d'une "communauté interprétative". Et le critique de montrer le brio avec lequel l'écrivain (se) joue des savoirs comme des formes, des discours, des registres et des genres : "pour reprendre la métaphore cycliste, Prigent force son lecteur à changer sans cesse de braquet pour traverser des régimes de lisibilité, c'est-à-dire des pactes de lecture, instables" (p. 137).

mardi 10 juin 2014

[Actualité] Les estivales de Christian Prigent

Polyphonies de Rennes, 24 mai 2014 : lectures de Christian Prigent avec Vanda Benes

"Comment j'ai écrit certains de mes textes" : https://www.youtube.com/watch?v=eaDE7I9SSwY&feature=share
Une phrase pour ma mère : https://www.youtube.com/watch?v=uFeNSC_hvCg
Grand-mère Quéquette : https://www.youtube.com/watch?v=pdY2tCarDWw
Les Enfances Chino : https://www.youtube.com/watch?v=-HargyJ7vic

N.B. : Merci à Sanda Voïca pour les vidéos.


AGENDA estival de Christian PRIGENT
15 juin. Marché de la poésie, Place Saint-Sulpice, Paris. Christian Prigent sera de 14 h 30 à 16 h 30 sur le stand des éditions FICELLES (STAND 503).
17 juin | Rencontre, débat
Christian Prigent. «Une soirée d’amour martial» à Paris 14e
Christian Prigent. «Une soirée d’amour martial» (DCL épigrammes de Martial, chez POL). Lecture/discussion à la Librairie «À Balzac à Rodin», 14 bis, rue de la Grande Chaumière, Paris 14e, M° Vavin. Le jeudi 17 juin à 18 h 30
18 juin | Lecture
Christian Prigent à Pantin
Christian Prigent à Pantin
Mercredi 18 juin 2014 à 20 heures, dans le cadre du festival « Côté court » : projection de Variation Chino, film de Sol Suffern et Rudolf Di Stefano (2014, 15 minutes) et lecture de Christian Prigent : Visions de Chino. Au Ciné 104, 104 avenue Jean Lolive, 93500 Pantin, métro : Eglise de Pantin (ligne 5).
Du lundi 30 juin au lundi 7 juillet : participation au premier colloque international de Cerisy consacré à son œuvre, "Christian Prigent : trou(v)er la langue" (dir. : B. Gorrillot, S. Santi et F. Thumerel). [Il reste quelques places pour les curieux]


L’ensemble d’essais et d’entretiens de Christian Prigent, intitulé SILO, consultable et téléchargeable sur le site de pol éditeur vient d’être enrichi de trois textes : [ http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=feuilletons&numauteur=160&numfeuilleton=13&numpage=21&numrub=12]
1— "Aux grands Anamorphoseurs" (essai)
La mode des anamorphoses (vers 1560) comme trace d’une crise dans les modes de représentation. La torsion anamorphosée comme «structure de fiction». Une difficulté de la psychanalyse : Freud et la peinture. L’écriture moderne au delà du principe d’anamorphose.
Exposé au colloque « De l’art les bords », Milan, 1978. Paru dans La Langue et ses monstres, Cadex, 1989. Revu et corrigé en avril 2014.
2— "Du Sens de l’absence de sens" (essai)
La question de l’illisibilité en littérature. Qu’est-ce qu’un texte illisible ? Ecriture et sens du « présent ». L’écriture comme expérience du sens de l’absence de sens.
Exposé au colloque « Liberté, licence, illisibilité poétique », San Diego, USA, 2008 (direction Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart. Une version légèrement différente figure dans les actes de ce colloque (L’illisibilité en questions, Presses du Septentrion, avril 2014).
3— "Du Droit à l’obscurité" (entretien)
La littérature et la fatalité de l’obscur. Aux origines de la revue TXT. De Commencement à Demain je meurs : vers une plus grande lisibilité ? Pour qui écrire ? Fiction et pédagogie critique. La peinture comme médiation. Le rapport aux « maîtres ». Narration et voix. Pourquoi et comment des « lectures publiques ». Le style comme puissance de distinction.
Entretien avec Bénédicte Gorrillot. Colloque « Liberté, licence, illisibilité poétique », USA, 2008. Une version abrégée figure dans les actes de ce colloque (L’illisibilité en questions, Presses du Septentrion, avril 2014).

mercredi 9 avril 2014

[Agenda] Programme détaillé du Colloque international de Cerisy "Christian Prigent : trou(v)er la langue"

Christian Prigent et Bénédicte Gorrillot à San Diego en 2008

Voici le programme détaillé du Colloque international de Cerisy (30 juin-7 juillet), en complément de la présentation générale et de la séance spéciale à l'abbaye d'Ardenne. On pourra télécharger le bulletin de participation sur le site du CCIC.


Lundi 30 juin
Après-midi:
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Mardi 1er juillet
Matin:
Bénédicte GORRILLOT: Histoire d'un colloque: pourquoi plutôt la langue?

Le réelisme de Christian Prigent (présidence: Sylvain Santi)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Fabrice THUMEREL: Réel : point Prigent (Le réalisme critique dans la "matière de Bretagne")
Hervé CASTANET: Le bricolage du sinthome. La leçon de Christian Prigent

Après-midi:
La langue de la division: torsions, excès (présidence: Bénédicte Gorrillot)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Chantal LAPEYRE-DESMAISON: Ratages et merveilles: le geste baroque de Christian Prigent
Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande et mouches à langue dans l'œuvre de  Christian Prigent

Soirée:
Lecture de Christian Prigent


Mercredi 2 juillet
Matin:
Trouer les discours d'autorité (politiques, savants...) (présidence: Fabrice Thumerel)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Eric AVOCAT: Langue révolutionnée, langue révolutionnaire: stratégies politiques de Christian Prigent
Sylvain SANTI: Prigent: un écrivain communiste
Hugues MARCHAL: Christian Prigent et la science

Après-midi:
Traduire pour trou(v)er sa langue (présidence: Sylvain Santi)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Marcelo Jacques de MORAES: Trou(v)er sa langue par la langue de l'autre: en traduisant Christian Prigent
Bénédicte GORRILLOT: Prigent-Martial: trou(v)er le traduire. Dialogue avec Christian Prigent sur sa traduction de Martial (avril 2014)

Soirée cinéma:
Ginette LAVIGNE: Projection de La belle journée, portrait avec/sur Christian Prigent (2010)
Elisabeth CARDONNE-ARLYCK: Entretien avec la réalisatrice Ginette Lavigne

Christian Prigent et Ginette Lavigne à Lille en novembre 2013

Jeudi 3 juillet
Matin:
La langue trou(v)ée d'Éros (présidence: Fabrice Thumerel)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Jean-Claude PINSON: Eros cosmicomique
Philippe MET: Porno-Prigent (ou la langue à la chatte)

Après-midi:
Séance spéciale à l'abbaye d'Ardenne à Caen, en collaboration avec l'IMEC
- Projection du film de Sol Suffren-Quirno et Rudolf di Stefano Vies parallèles (90 mn)
- Présentation de l'IMEC et du fonds Christian Prigent, par Yoann THOMMEREL & Typhaine GARNIER
- Dîner à l'abbaye d'Ardenne
- Présentation de l'accrochage Philippe BOUTIBONNES / Daniel DEZEUZE
- Rencontre-lectures, avec Bruno FERN, Sylvain COURTOUX et Christophe MANON


Vendredi 4 juillet
Matin:
Modernité Prigent (1): (re)construire un avant-gardisme? (présidence: Bénédicte Gorrillot)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Jean-Pierre VERHEGGEN: Avant Commencement
Olivier PENOT-LACASSAGNE: Ainsi revient parfois l’envie de littérature

Après-midi:
Prigent en perspective: malentendus et surprises (présidence: Fabrice Thumerel)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Nathalie QUINTANE: Difficultés de communication? Prigent et la génération de 90
Christophe KANTCHEFF: La réception critique de Christian Prigent dans la presse
Typhaine GARNIER : L’écrivain aux archives ou le souci des traces : « c’est quoi qu’on a été, qu’on est, qu’on sera ? » (Commencement, POL, 1989, p. 27).

Soirée animée par Eric CLÉMENS:
Jean-Marc BOURG: Lecture-performance de Commencement, de Christian Prigent
Entretien entre l'artiste et l'auteur


Samedi 5 juillet
Matin:
La langue d'Éros-Thanatos (présidence: Sylvain Santi)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Philippe BOUTIBONNES: Et hop ! Une, deux, trois, d'autres et toutes
Eric CLÉMENS: La danse des morts du conteur

Après-midi:
Modernité Prigent (2): montages contemporains (présidence: Fabrice Thumerel)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Benoît AUCLERC: Le Contemporain de Christian Prigent
Muriel PIC: La littérature aux ciseaux
Jean-Luc STEINMETZ: Epître à Christian Prigent (lecture d’un texte inédit)

Soirée animée par Eric CLÉMENS:
Vanda BENES: Peep-Show, de Christian Prigent
Entretien entre l'artiste et l'auteur


Dimanche 6 juillet
Matin:
Cuisiner la langue-mère: clichés, refrains idiots (présidence: Bénédicte Gorrillot)
La voix de Christian Prigent (lectures)
David CHRISTOFFEL: "Les popottes à Cricri"
Laurent FOURCAUT: Dum pendet filius: peloter la langue pour se la farcir maternelle

Après-midi:
La voix de l'écrit pour trou(v)er sa langue (présidence: Bénédicte Gorrillot)
La voix de Christian Prigent (lectures)
Jean RENAUD: La matière syllabique
Jean-Pierre BOBILLOT: La "voix-de-l'écrit": une spécificité médiopoétique


Lundi 7 juillet
Matin:
Conclusions et départs.

mardi 25 février 2014

[Agenda] Christian Prigent à l'abbaye d'Ardenne

Le 03 juillet 2014 | 15H30- 22H
IMEC, abbaye d'Ardenne, 14280 Saint-Germain la Blanche-Herbe

  
Christian Prigent, 

Bruno Fern, Sylvain Courtoux, Christophe Manon

 

Le cycle "Les grands soirs" est consacré à l'œuvre littéraire contemporaine. Lectures, projections, discussions avec des auteurs et des commentateurs sont au programme de chacune de ces rencontres.

Depuis l’aventure de la revue d’avant garde TXT (1969-1993), l’attention portée par Christian Prigent à ses contemporains, et singulièrement aux poètes qui essaient de trouver leurs langues face au réel, n’a pas faibli. Cette rencontre est une carte blanche, une invitation à écouter trois auteurs qui comptent pour lui, trois auteurs qui savent aussi s’inventer dans ce mode particulier de réalisation du texte : la lecture à haute voix.

Pré-programme de cette manifestation née de la collaboration entre l'IMEC et  les organisateurs du Colloque de Cerisy sur Christian Prigent (Bénédicte Gorrillot, Sylvain Santi et Fabrice Thumerel) :

* 16 H : film de Sol Suffren-Quirno et Rudolf du Stefano, Vies parallèles (90 mn) ;
* 17H45 : présentation de l'IMEC (Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine) et du fonds Christian Prigent, par Typhaine Garnier et Yoann Thommerel ;
* 20 H : présentation de l'accrochage Philippe Boutibonnes/Daniel Dezeuze ;
rencontres-lectures avec Bruno Fern, Sylvain Courtoux et Christophe Manon.


Pour plus de renseignement : http://www.imec-archives.com/agenda/prigent-christian-prigent-bruno-fern-sylvain-courtoux-christophe-manon/

Rencontre organisée en partenariat avec le CCI de Cerisy dans le cadre du colloque Christian Prigent : Trou(v)er sa langue

Photo prise par Typhaine Garnier

jeudi 6 février 2014

Réel : point Prigent, par Fabrice Thumerel (Traversée Prigent #3)

En avant-première, voici une présentation un peu développée de ma communication prévue pour le colloque de Cerisy, "Christian Prigent : trou(v)er la langue".

 

Réel : point Prigent.
(Le réalisme critique dans la « matière de Bretagne »)



Dans la première version de L'Incontenable (P.O.L, 2004) intitulée Réel : point zéro (Weidler Buchverlag, Berlin, 2001), Christian Prigent formule cette définition qui a fait date : « J'appelle
"poésie" la symbolisation paradoxale d'un trou. Ce trou, je le nomme "réel". Réel s'entend ici au sens lacanien : ce qui commence "là où le sens s'arrête". La "poésie" tâche à désigner le réel comme trou dans le corps constitué des langues ». Et de compléter cette conception négative du travail poétique entendu au sens large du terme, c'est-à-dire par delà les frontières entre les genres institués : « la poésie vise le réel en tant qu'absent de tout bouquin. Ou : le réel en tant que point zéro du calcul formel qui fait texte » (p. 11). En milieu prigentien, ce réel-point zéro a pour nom Dieu, Nature ou corps : innommable, le réel n'existe qu'en langue (réel-en-langue) ; inatteignable, ce point zéro rend paradoxal tout réalisme – l'objectif visé se dérobant sans cesse (et c'est ce ratage même qui constitue l'écriture).

Il s'agira ici d'étudier la façon dont l'ôteur, dans les fictions ressortissant à la « matière de Bretagne » (Commencement, Une phrase pour ma mère, Grand-mère Quéquette, Demain je meurs et Les Enfances Chino), dépasse l'antinomie entre formalisme et expressionnisme pour aboutir à un réalisme critique qui consiste à ne pas prétendre appréhender directement la réalité sociale ou l’expérience humaine, mais à la viser obliquement, au travers de ces prismes que sont les tableaux de grands peintres, les textes des bibliothèques (culture officielle, littérature enfantine ou populaire) et les discours les plus divers.


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*    *


Si réalisme il y a dans les autopoéfictions, c’est bel et bien d’un réalisme discursif ou, plus largement, d’un réalisme textuel dont il convient de parler : le langage ne pouvant que renvoyer au langage - selon le principe de l’isomorphisme -, la seule réalité que l’on puisse reproduire est d’ordre linguistique. Entre l’écrivain et le vécu s’interpose ainsi tout un jeu de codes linguistiques et romanesques, un vaste polypier discursif/textuel emmagasiné dans sa mémoire affective et littéraire.

Cet effet de prisme est le propre d’une modernité qui commence avec le constat que le réalisme mimétique est un leurre : il ne saurait y avoir de saisie immédiate du « réel », ce dehors étant
inaccessible au parlant ; autrement dit, notre présence au monde ne peut qu’être négative, dans l’exacte mesure où notre langage se révèle inadéquat à ces réalités sensibles que sont le monde extérieur comme notre propre corps. Dans cette perspective, « le réel est une sorte de complexe énergétique venu en travers de la résorption verbale et la débordant de partout » (Christian Prigent, quatre temps, avec B. Gorrillot, Argol, 2009, p. 113). La conscience que notre expérience ne saurait être traduite « en parler pigeable par la société de conurbation » et que, par conséquent, il faut se consacrer à la « tentative d’exploration du trop qui vous troue », dans la lignée de Ponge, Christian Prigent la nomme rage d’expression (Ceux qui merdRent, P.O.L, 1991, p. 261). On peut y voir une nouvelle forme de réalisme subjectif, un réalisme sensoriel : « On synthèse images via odeurs, bruités, sensations en vrac. On peint avec ça du blason serti, en couleurs chromo » - et ça donne Demain je meurs (P.O.L, 2007, p. 163).

Dès lors que nous vivons entouré des histoires que nous nous racontons, notre rapport au monde est médiatisé : « la petite lucarne, ou boîte à malices, ou lanterne magique, c’est ma tête à moi » (p. 20). Un passage de Demain je meurs nous égare dans le labyrinthe des représentations de représentations : « Elle me confie en bénédiction, par du signalé de Braille sans le son, ce que dit son Maître qu’un Maître avait dit qu’il tenait d’un Maître qui le lui confia comme vérité pure confirmée par maints Maîtres et Gourous [...] » (p. 30). Le « réel », c’est ce qui excède nos représentations, se situant dans un en-deça ou un au-delà. Ce que nous tenons pour la réalité n’en est que la représentation spectaculaire : « Ces panneaux dits "monde", ce n’est pas le monde que tu vois dessus mais la réclame du monde. Pas la vie : la pub de la vie » (Les Enfances Chino, P.O.L, 2013, p. 77). Dans une telle caverne médiatique, on ne peut que se heurter à l’impossibilité même du dire : « Bientôt il dira qu’on lui a dit que quelqu’un disait qu’on lui avait dit et au bout du dire y a plus comme causeur qu’une tête d’épingle [...] » (267)…

Comment faire face à l’irreprésentable quand on est écrivain ? Le réalisme critique de Christian Prigent consiste à prendre le parti de l’objet narratif pluridimensionnel : kaléidoscopique,
polyphonique, multifocal… Les Enfances Chino allie prose et poésie, fiction et (auto)biographie ; varie les vitesses, alterne le micro- et le macroscopique ; juxtapose vues et visions, flashes et flash-back, cadrages et encadrés… Vu le retrait du « réel » et les manques de la mémoire, le roman n’est pas reflet d’un quelconque référent, mais réfraction de fragments épars, « compressé plastique de choses vues reconfigurées » (62) ; son objectif est de « faire courant continu avec l’évidemment discontinu », « fixer le bougé, former poterie avec de l’informe, lier ce qui s’obstine à délier tout lien » (76), proposer « du bariolé non figuratif » (355), des représentations floutées en pointillés, une bande son « en pizzicati plicploqués sur soupe au gras d’harmonie coupée de blancs exaspérants » (341)… Ainsi l’esthétique prigentienne est-elle inscrite dans un texte qui représente un véritable palais de glaces aux mille réflexions et autoréflexions.

La vérité/réalité étant inatteignable, Demain je meurs en donne une vision « multifocale » (cf. p. 163), kaléidoscopique... D’où, à proprement parler, une véritable mise en scène(s) : le texte orchestre dix chapitres dont les titres offrent des vues, vision et « flashes en rétro », en plus d’un « carnet de croquis (vu à la lorgnette à la Fête de l’Aube) » (pp. 151-153), de tous les flashes et flash-back internes se rapportant à la petite ou à la grande histoire, comme des « scènes de » (« scènes de sa vie militaire », pp. 105-107) et des nombreuses vignettes (par exemple, « Vignettes en vite fait », pp. 322-327)... Que retient-on d’une vie, hormis des images et des saynettes éclatées ? La continuité réaliste, que met en œuvre le récit linéaire et chronologique, se trouve remise en question : Demain je meurs juxtapose des tableaux plus ou moins troubles en précipité ou « en croqué vif » (p. 141), des poèmes en vers de mirliton et diverses digressions.

jeudi 23 janvier 2014

Colloque de Cerisy. Christian Prigent : trou(v)er sa langue





                   CHRISTIAN PRIGENT : TROU(V)ER SA LANGUE

DU LUNDI 30 JUIN (19 H) AU LUNDI 7 JUILLET (14 H) 2014

(Colloque de 7 jours)

DIRECTION : Bénédicte GORRILLOT, Sylvain SANTI, Fabrice THUMEREL

Avec la participation de Christian PRIGENT

ARGUMENT :

Comme ancien directeur de la revue d'avant-garde TXT (1969-1993) autant que par l’ampleur et la diversité de son œuvre personnelle, Christian Prigent (né en 1945) fait l’objet, depuis 10 ans, de multiples publications, rencontres, journées d’étude, enregistrements, mises en scène et films. D’où l'opportunité d’organiser un colloque international qui permette d'établir un premier bilan des réflexions proposées sur cet écrivain et d'ouvrir d'autres perspectives de lecture.


Le réel est ce que l’écrivain affronte, face auquel il essaie de trouver sa langue. Or ce réel est pour lui, comme pour Lacan, ce qui "commence là où le sens s'arrête". C’est encore le réel pulsionnel du corps qui défait les voix, comme chez Artaud ou Bataille. Marqué par la négativité de la Modernité, Prigent ne cesse donc de trouer la langue, les représentations admises aussi bien que l’histoire littéraire. Et il problématise violemment la légitimité du geste créateur. Mais il invite aussi à un salut du poétique inattendu en ce début de siècle qui continue volontiers à liquider, avec les avant-gardes, les genres millénaires, les engagements politiques et les utopies esthétiques. Les livres de Christian Prigent proposent ainsi une "trouée", au sens de la promesse d'une embellie. Car s'y opère peut-être le miracle d'avoir forcé l'expression juste du réel - voire de soi ?