jeudi 4 juin 2015

[Actualités] Le désir de littérature avec Christian Prigent, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

"Le désir de littérature, en somme"


Retour sur "Le désir de littérature, en somme" (soirée Remue.net à la Maison de la poésie Paris animée par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel, autour de Christian Prigent et de Bruno Fern, vendredi 22 mai 2015, de 20H à 22H) : vidéos de Vanda Benes. Les extraits vidéos des lectures et dialogues sont accompagnés de photos (quatre de V. Benes et quatre de Marie-Hélène Dhénin) et de présentations/résumés établis par B. Gorrillot et F. Thumerel. [Intégrale audio à écouter sur Remue.net]



Lectures de Christian PRIGENT :
Extrait 1 ; extrait 2 ; extrait 3 ; extrait 4 ; extrait 5.

Lectures de Bruno FERN :
Extrait 1 ; extrait 2.

Bénédicte Gorrillot lisant Christian Prigent : écouter.

Présentation 
 
Dans sa contribution à l’ouvrage collectif L’Illisibilité en
questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
« L’expérience du sens, on ne la fait pas directement face à la vie qu’on mène mais face aux discours qui nous disent quelque chose de cette vie. Je perçois du sens quand je lis un ouvrage de philosophie, un essai savant, une analyse politique. Et quand je perçois ce sens je perçois généralement aussi ce que son bâti rationnel et la positivité des énoncés qui le construisent ont de décevant. Au moment même où je saisis son sens, je perçois l’inadéquation de ce sens à la façon dont le monde, moi, singulièrement, m’affecte. Autrement dit : la lisibilité du propos me le fait, dans une large mesure, éprouver comme du parler "faux". Et cette épreuve est même sans doute ce qui fait lever en moi le désir d’un autre mode d’approche de la vérité, d’une autre posture d’énonciation, d’un autre traitement des moyens d’expression : le désir de littérature, en somme. »

Cette soirée va avoir pour but d’interroger cette formule : « Le désir de littérature, en somme ».
Portrait par Marie-Hélène Dhénin
Que veut dire Christian Prigent ? Qu’entend-il plus précisément par cette « littérature désirée » ? Est-ce plus clairement un « désir de poésie » ? Et donc qu’est-ce que la littérature (ou la poésie) pour lui ?
Et pourquoi ce « en somme » ? Qu’est-ce que ce « en somme » signale ? Comme synonyme d’un « malgré tout », signale-t-il un pis-aller ? une résistance ? un combat ? des oppositions dont il faut venir à bout ? Quelles sont ces oppositions à la littérature-selon-son-désir ? Comment les explique-t-il ?
Met-il derrière ces mots (« le désir de littérature, en somme »), en 2015, le même contenu qu’il mettait en 2008 à San Diego ? ou en 1989 dans la première publication, chez Cadex, de La Langue et ses monstres (augmenté et réédité en 2014 chez POL) ?
Bref, cette formule titrant notre soirée pose deux questions (intimement mêlées) : qu’est-ce qu’écrire (et faire-littérature) pour Prigent ? comment imposer malgré tout un écho public à cette littérature a priori en opposition à un consensus peu favorable – c’est-à-dire en opposition à un certain public (le grand public) qui brandit vite l’accusation d’illisibilité de cette littérature ?

Pour répondre à toutes ces questions, soulevées par le titre de la rencontre de ce soir, Christian Prigent va dialoguer avec les deux universitaires et critiques que nous sommes, mais aussi avec l’un de ses collègues d’écriture, Bruno Fern, lui aussi confronté à cette question de l’illisibilité poétique, tant comme lecteur d’autres poètes – et notamment de Christian Prigent –, que comme auteur de poèmes.
La présence des deux écrivains va notamment permettre un retour croisé immédiat de lectures : d’un côté, comment B. Fern perçoit-il l’écriture-Prigent et son éventuelle « illisibilité » ? En quoi Prigent pourrait-il être éventuellement « illisible » pour lui ? D’un autre côté, comment C. Prigent perçoit-il l’écriture-Fern ? et quelle serait, pour lui, son éventuelle illisibilité ? De fait, il sera aussi intéressant de voir les réponses personnelles que B. Fern pourra apporter de son côté au double questionnement qui nous occupe : pour lui, « le désir de littérature, quel est-il ? et pourquoi est-il ou serait-il illisible ? Pourquoi aurait-il à lutter pour exister malgré tout ?
Pour éviter des discussions trop abstraites, nous avons choisi de vous faire entendre des pages de nos deux poètes, choisies parce qu’elles posent cette double question de l’idéal littéraire (ou poétique) recherché et d’une résistance à un consensus mortifère pour la littérature.
Ainsi nos moments de réflexions théoriques seront rythmés par des lectures très aimablement réalisées par nos deux créateurs.

Photo de Marie-Hélène Dhénin


Trois interventions de Bénédicte Gorrillot


Quelle est l’illisibilité de L’âme ? Est-ce parce que ce recueil de 2000 incarne de façon peut-être radicale votre définition du « désir de littérature » (« Du sens de l’absence de sens ») ?


Je résume : L’Âme est-il très illisible parce que les poèmes n’y parlent plus du monde ou de
Bénédicte Gorrillot à l'uvre...
l’homme mais uniquement - autoréférentiellement - de l’impossibilité de toute parole juste du monde ou de soi ? Et ce narcissisme linguistique central n’est pas compris comme légitime (c’est-à-dire comme « poétique » ou « novateur ») ou est difficile à déchiffrer entre les lignes ?


A écouter, par contraste avec la page 79 de L'âme (né d’une circonstance érotique), le poème de Météo des plages qui a été lu (extrait de la section « Tentative d’une idylle ») , faut-il penser que Météo des plages (2010) est aussi illisible que L’Âme (2000) ?


Parce que, ici, il semble qu’un récit événementiel (érotique) (bref un signifié extérieur) fasse retour sur le devant de la scène qui appuie (qui facilite ?) le récit autoréférentiel… parce que les effets humoristiques de réécriture parodiques ou carnavalesques (des clichés du cinéma sexy) font oublier l’amertume de la leçon d’impuissance linguistique à dire le vécu érotique… ?



Je reviens au « en somme » : nous l’avons interprété jusqu’ici comme force de résistance (souvent par rupture) au consensus public (au bon goût dominant ou aux modes dominantes) : et le geste littéraire était synonyme de violentement, de bris « des lignes grammaticales », comme disaient Burroughs et les cut-upers américains qui vous ont aussi inspiré à un certain moment de votre écriture.


Mais « en somme » me paraît prévenir d’un rapport plus complexe et plus ambigu du créateur rupteur à la communauté qu’il veut bousculer. « En somme » n’implique-t-il pas aussi un certain art du compromis avec la communauté à bousculer, et il s’agit là d’un art nécessaire ?


Photo de Marie-Hélène Dhénin
Par exemple, le premier compromis ne serait-il pas d’expliquer par des commentaires écrits a posteriori ces pages illisibles ? Pour s’imposer réellement, l’illisibilité, la littérature irrégulière (indigérable, contre les normes) doivent-elles allier à la violence de leur énonciation l’entreprise pédagogique d’explication et doivent-elles accepter la langue normée pour diffuser (pour publier) leur a-normalité ? Je pose cette question à cause de l'alternance entre théorie et pratique : Ecrit au couteau tout comme Commencement sont suivis par leur légitimation dans Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature… Bref, peut-il y avoir « publication réelle d’une grande irrégularité de langue » sans théorisation en langue normée de cette irrégularité (ce qui peut sembler un paradoxe) ?



Faut-il s’expliquer ainsi (lien nécessaire de compromis pédagogique avec la communauté à convaincre) votre souci de théoriser l’illisibilité des autres poètes « irréguliers », en sorte d’assurer leur publication (= leur diffusion publique, la diffusion-compréhension de leur illisibilité corrosive) ? Je pense à vos études sur de nombreux contemporains (ou moins contemporains) dans La langue et ses monstres (1989 et 2014), dans Une erreur de la nature (1995) ou Salut les anciens, salut les modernes (2000)…

Intervention de Bruno Fern (par F. Thumerel) 


Bruno FERN, c'est Ici poésie : association des lectures publiques de Caen, à laquelle il participe depuis 2001.
Bruno FERN, c'est « la contrainte faite style », pour reprendre une expression de Typhaine Garnier sur Libr-critique – site auquel il participe du reste comme chroniqueur (il fait d'ailleurs le trait d'union avec Remue.net et un autre site dirigé par un ancien de TXT, Sitaudis de Pierre Le Pillouër).
Portrait par M.-H. Dhénin
Depuis 2007, il a publié 7 livres, dont Des figures (éditions de l'Attente, 2011), Reverbs (Nous, 2014) et Le Petit Test (Sitaudis, 2015).
Marqué par Jude Stéfan qu'il a eu la chance d'avoir comme professeur, l’auteur de Reverbs et du Petit Test – dans lesquels il retraite des matériaux discursifs en se fixant des contraintes, qu’il nomme "machines à fabriquer des grains de sable" – se retrouve dans la conception prigentienne de l’illisibilité : dès lors qu’on s’efforce d’écrire – au sens fort du terme -, s’impose "la fatalité de l’obscurité". C'est pourquoi il prend ses distances par rapport à Oulipo, se méfiant du ludisme et d'une conception de la contrainte comme simple règle du jeu.




 À venir...

Christian Prigent à Lyon. Vendredi 05 Juin, 20h. « Un écrivain dans le monde des revues : Christian Prigent et l’aventure TXT ». Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 8 bis quai Saint-Vincent, 69001 LYON. Informations : livraisons.rhonealpes@gmail.com / 06-88-24-20-06.
 
LA VILLE BRÛLE, BERLIN SERA PEUT-ÊTRE UN JOUR
Rencontre avec Christian Prigent (auteur), Patrick Suel (libraire) et Marianne Zuzula (éditrice) autour du livre Berlin sera peut-être un jour de Christian Prigent (éditions La ville brûle, 2015)
Le mercredi 17 juin 2015 à 19 h à l’Institut français de Berlin http://www.institutfrancais.de/…/berlin-sera-peut-etre-un-j…

► On consultera avec intérêt le Fonds Prigent à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine).

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