"Le désir de littérature, en somme"
► Retour sur "Le désir de littérature, en somme" (soirée Remue.net à la Maison de la poésie Paris animée par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel, autour de Christian Prigent et de Bruno Fern, vendredi 22 mai 2015, de 20H à 22H) : vidéos de Vanda Benes. Les extraits vidéos des lectures et dialogues sont accompagnés de photos (quatre de V. Benes et quatre de Marie-Hélène Dhénin) et de présentations/résumés établis par B. Gorrillot et F. Thumerel. [Intégrale audio à écouter sur Remue.net]
Lectures de Christian PRIGENT :
Extrait 1 ; extrait 2 ; extrait 3 ; extrait 4 ; extrait 5.
Lectures de Bruno FERN :
Extrait 1 ; extrait 2.
Bénédicte Gorrillot lisant Christian Prigent : écouter.
Lectures de Bruno FERN :
Extrait 1 ; extrait 2.
Bénédicte Gorrillot lisant Christian Prigent : écouter.
Présentation
Dans sa contribution à l’ouvrage collectif L’Illisibilité en
questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
« L’expérience du sens, on ne la fait pas directement face à la vie
qu’on mène mais face aux discours qui nous disent quelque chose de cette
vie. Je perçois du sens quand je lis un ouvrage de philosophie, un
essai savant, une analyse politique. Et quand je perçois ce sens je
perçois généralement aussi ce que son bâti rationnel et la positivité
des énoncés qui le construisent ont de décevant. Au moment même où je
saisis son sens, je perçois l’inadéquation de ce sens à la façon dont le
monde, moi, singulièrement, m’affecte. Autrement dit : la lisibilité du
propos me le fait, dans une large mesure, éprouver comme du parler
"faux". Et cette épreuve est même sans doute ce qui fait lever en moi le
désir d’un autre mode d’approche de la vérité, d’une autre posture
d’énonciation, d’un autre traitement des moyens d’expression : le désir
de littérature, en somme. »questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
Cette soirée va avoir pour but d’interroger cette formule : « Le
désir de littérature, en somme ».
Que veut dire Christian
Prigent ? Qu’entend-il plus précisément par cette
« littérature désirée » ? Est-ce plus clairement un
« désir de poésie » ? Et donc qu’est-ce que la
littérature (ou la poésie) pour lui ?
Portrait par Marie-Hélène Dhénin |
Et pourquoi ce « en somme » ? Qu’est-ce que ce « en
somme » signale ? Comme synonyme d’un « malgré
tout », signale-t-il un pis-aller ? une résistance ?
un combat ? des oppositions dont il faut venir à bout ?
Quelles sont ces oppositions à la littérature-selon-son-désir ?
Comment les explique-t-il ?
Met-il derrière ces mots (« le désir de littérature, en somme »),
en 2015, le même contenu qu’il mettait en 2008 à San Diego ?
ou en 1989 dans la première publication, chez Cadex, de La Langue
et ses monstres (augmenté et réédité en 2014 chez POL) ?
Bref, cette formule titrant notre soirée pose deux questions
(intimement mêlées) : qu’est-ce qu’écrire (et
faire-littérature) pour Prigent ? comment imposer malgré
tout un écho public à cette littérature a priori
en opposition à un consensus peu favorable – c’est-à-dire en
opposition à un certain public (le grand public) qui brandit vite
l’accusation d’illisibilité de cette littérature ?
Pour répondre à toutes ces questions, soulevées par le titre de la
rencontre de ce soir, Christian Prigent va dialoguer avec les deux
universitaires et critiques que nous sommes, mais aussi avec l’un
de ses collègues d’écriture, Bruno Fern, lui aussi
confronté à cette question de l’illisibilité poétique, tant
comme lecteur d’autres poètes – et notamment de Christian
Prigent –, que comme auteur de poèmes.
La présence des deux écrivains va notamment permettre un retour
croisé immédiat de lectures : d’un côté, comment B.
Fern perçoit-il l’écriture-Prigent et son éventuelle
« illisibilité » ? En quoi Prigent pourrait-il être
éventuellement « illisible » pour lui ? D’un
autre côté, comment C. Prigent perçoit-il l’écriture-Fern ?
et quelle serait, pour lui, son éventuelle illisibilité ? De
fait, il sera aussi intéressant de voir les réponses personnelles
que B. Fern pourra apporter de son côté au double
questionnement qui nous occupe : pour lui, « le désir de
littérature, quel est-il ? et pourquoi est-il ou
serait-il illisible ? Pourquoi aurait-il à lutter pour
exister malgré tout ?
Pour éviter des discussions trop abstraites, nous avons choisi de
vous faire entendre des pages de nos deux poètes, choisies
parce qu’elles posent cette double question de l’idéal
littéraire (ou poétique) recherché et d’une résistance à
un consensus mortifère pour la littérature.
Ainsi nos moments de réflexions théoriques seront rythmés par des
lectures très aimablement réalisées par nos deux créateurs.
Trois interventions de Bénédicte Gorrillot
Bruno FERN, c'est Ici poésie : association des lectures publiques de Caen, à laquelle il participe depuis 2001.
Photo de Marie-Hélène Dhénin |
Trois interventions de Bénédicte Gorrillot
Quelle est l’illisibilité de L’âme ? Est-ce
parce que ce recueil de 2000 incarne de façon peut-être
radicale votre définition du « désir de littérature » (« Du sens de l’absence de sens ») ?
Je résume : L’Âme est-il très illisible parce
que les poèmes n’y parlent plus du monde ou de
l’homme mais
uniquement - autoréférentiellement - de l’impossibilité de toute
parole juste du monde ou de soi ? Et ce narcissisme
linguistique central n’est pas compris comme légitime
(c’est-à-dire comme « poétique » ou « novateur »)
ou est difficile à déchiffrer entre les lignes ?
Bénédicte Gorrillot à l'uvre... |
A écouter, par contraste avec la page 79 de L'âme (né d’une
circonstance érotique), le poème de Météo des plages qui
a été lu (extrait de la section « Tentative d’une idylle »)
, faut-il penser que Météo des plages
(2010) est aussi illisible que L’Âme (2000) ?
Parce que, ici, il semble qu’un récit événementiel
(érotique) (bref un signifié extérieur) fasse retour
sur le devant de la scène qui appuie (qui facilite ?) le
récit autoréférentiel… parce que les effets humoristiques de
réécriture parodiques ou carnavalesques (des clichés du cinéma
sexy) font oublier l’amertume de la leçon d’impuissance
linguistique à dire le vécu érotique… ?
Par exemple, le premier compromis ne serait-il pas d’expliquer
par des commentaires écrits a posteriori ces pages
illisibles ? Pour s’imposer réellement,
l’illisibilité, la littérature irrégulière (indigérable,
contre les normes) doivent-elles allier à la violence de leur
énonciation l’entreprise pédagogique d’explication et
doivent-elles accepter la langue normée pour diffuser (pour publier)
leur a-normalité ? Je pose cette question à cause de l'alternance entre théorie et pratique : Ecrit au couteau tout comme Commencement
sont suivis par leur légitimation dans Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature…
Bref, peut-il y avoir « publication réelle d’une grande
irrégularité de langue » sans théorisation en
langue normée de cette irrégularité (ce qui peut sembler un
paradoxe) ?
Je reviens au « en somme » : nous l’avons
interprété jusqu’ici comme force de résistance (souvent par
rupture) au consensus public (au bon goût dominant ou aux modes
dominantes) : et le geste littéraire était synonyme de
violentement, de bris « des lignes grammaticales »,
comme disaient Burroughs et les cut-upers américains qui vous ont
aussi inspiré à un certain moment de votre écriture.
Mais « en somme » me paraît prévenir d’un rapport plus
complexe et plus ambigu du créateur rupteur à la communauté
qu’il veut bousculer. « En somme » n’implique-t-il
pas aussi un certain art du compromis avec la communauté à
bousculer, et il s’agit là d’un art nécessaire ?
Photo de Marie-Hélène Dhénin |
Faut-il s’expliquer ainsi (lien nécessaire de compromis pédagogique avec
la communauté à convaincre) votre souci de théoriser
l’illisibilité des autres poètes « irréguliers »,
en sorte d’assurer leur publication (= leur diffusion
publique, la diffusion-compréhension de leur illisibilité
corrosive) ? Je pense à vos études sur de nombreux
contemporains (ou moins contemporains) dans La langue et ses
monstres (1989 et 2014), dans Une erreur de la nature
(1995) ou Salut les anciens, salut les modernes (2000)…
Intervention de Bruno Fern (par F. Thumerel) Bruno FERN, c'est Ici poésie : association des lectures publiques de Caen, à laquelle il participe depuis 2001.
Bruno FERN, c'est « la contrainte faite style », pour reprendre
une expression de Typhaine Garnier sur Libr-critique – site auquel il participe du reste comme chroniqueur (il fait
d'ailleurs le trait d'union avec Remue.net et un autre site dirigé par un ancien de TXT,
Sitaudis de Pierre Le Pillouër).
Portrait par M.-H. Dhénin |
Depuis 2007, il a publié 7 livres, dont Des figures
(éditions de l'Attente, 2011), Reverbs (Nous, 2014) et Le Petit Test (Sitaudis, 2015).
Marqué par Jude Stéfan qu'il a eu la chance d'avoir comme professeur, l’auteur de Reverbs et du Petit Test – dans lesquels il retraite des matériaux discursifs
en se fixant des contraintes, qu’il nomme "machines à fabriquer des
grains de sable" – se retrouve dans la conception prigentienne de
l’illisibilité : dès lors qu’on s’efforce d’écrire – au sens fort du
terme -, s’impose "la fatalité de l’obscurité". C'est pourquoi il prend ses distances par rapport à Oulipo, se méfiant du ludisme et d'une conception de la contrainte comme simple règle du jeu.
À venir...
► Christian Prigent à Lyon. Vendredi 05 Juin, 20h. « Un écrivain dans le monde des revues : Christian Prigent et l’aventure TXT ». Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 8 bis quai Saint-Vincent, 69001 LYON. Informations : livraisons.rhonealpes@gmail.com / 06-88-24-20-06.
Rencontre avec Christian Prigent (auteur), Patrick Suel (libraire) et Marianne Zuzula (éditrice) autour du livre Berlin sera peut-être un jour de Christian Prigent (éditions La ville brûle, 2015)
Le mercredi 17 juin 2015 à 19 h à l’Institut français de Berlin http://www.institutfrancais.de/…/berlin-sera-peut-etre-un-j…
► On consultera avec intérêt le Fonds Prigent à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine).
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