lundi 13 juin 2022

Retour à St Broc les choux...

Du 17 mai au 17 septembre, Bibliothèque André Malraux de St Brieuc (22), Exposition : Ramages & Plumages. Christian Prigent et le livre d’artiste (1975-2016)

En partenariat avec le Musée d’art et d’histoire. Christian Prigent vit et travaille à Saint-Brieuc, où il est né en 1945. Entamée à la fin des années 1960, son œuvre – l’une des plus singulières et importantes de la littérature française contemporaine – s’est déployée en plus de soixante ouvrages, dans une multitude de genres : poèmes et romans, mais également essais et chroniques, traductions, créations théâtrales et audiovisuelles, performances.

Conçue avec l’auteur, l’exposition propose une exploration de l’oeuvre poétique de Christian Prigent et de ses collaborations avec les artistes.

Exposition accessible aux horaires d’ouverture de la Bibliothèque André-Malraux

Bibliothèque André-Malraux, 44 rue du 71e R.I., Saint-Brieuc – 02 96 62 55 19 Fermeture estivale :  du 30 juillet au 15 août – https://mediathequesdelabaie.fr






AUTOUR DE L’EXPOSITION : 

Visites commentées à 15h, par les bibliothécaires

Mercredi 15, samedi 18, mercredi 22, mercredi 29 juin ; samedi 2, mercredi 13, samedi 16 juillet; mercredi 17, mercredi 24 août ; samedi 10, samedi 17 septembre (avec Christian Prigent).


► Comme si vous étiez à la Bibliothèque de Saint-Brieuc le 20 mai dernier : assistez à une lecture de Christian PRIGENT et de Vanda BENES drôle et satirique.


► Prochain événement :



► Autres événements estivaux :



Accès libre et gratuit, dans la limite des places disponibles.  

Inscription recommandée.

Le Groupe d’Education Nouvelle des Côtes d’Amor  invite Christian Prigent à trois conversations  autour de ses trois derniers livres

Informations : 3motsdeplus@gmail.com – 06 77 68 56 82











samedi 23 avril 2022

[NEWS] Ouïvoir Christian PRIGENT au cours du printemps 2022




Journal de Christian PRIGENT sur SITAUDIS : 7e extrait paru récemment !


"CHINO sur la falaise" : RV sur AOC.


Chino chez les Helvètes :

RadioTélévisionSuisse (RTS-Espace 2, émission « La Vie à peu près »). Chaque jour de 12 h à 12 h 30 du lundi 4 au vendredi 8 avril 2022.
Désormais podcastable via : 




Christian Prigent (avec Vanda Benes) à La Générale (39 rue Gassendi  Paris XIVème).

Lecture et dialogue avec Jean-Pierre Han.
Le dimanche 15 mai 2022, à 14 h 30.
Dans le cadre des rencontres « Théâtres / écritures : quels liens ? ».


lundi 12 juillet 2021

Chino au jardin, par Tristan Hordé

Avec Vanda Benes, lecture de Chino au jardin en mai 2021


Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L, mai 2021, 352 pages, 21 €.

 

 

   Chino au jardin appartient à un vaste ensemble, succédant à Les Enfances Chino (roman) (2013), Les Amours de Chino (roman en vers) (2016) et Chino aime le sport (roman en vers) (2017). La mention "roman" est absente, bien que le projet ne semble pas différent du premier "Chino" ; les données personnelles sont souvent transparentes et des faits historiques restitués précisément, de la guerre d’Indochine à l’extension des villes. Ce n’est pas pour autant une autobiographie ou une succession de faits vérifiables, « réels », ni un roman au sens convenu du mot : le livre, comme les autres du cycle « Chino », rompt avec toute narration romanesque, ne serait-ce qu’en introduisant des documents (la liste en est donnée à la suite du texte, mais en fait partie), chansons et poèmes, jeux avec la typographie, mais surtout par son écriture. L’écriture est là pour restituer autre chose que le vraisemblable ; comme l’écrit Prigent dans son Journal (Point d'appui, P.O.L, 2019 ; 27/08/2017, p. 187), elle est une « résistance à la pression dé-réalisante du dehors (le « monde » saturé de représentations) ». 

 

  La littérature est toujours présente, d’abord avec les citations et le jeu qu’elles entraînent. Chaque ensemble, en relation avec son contenu, est accompagné d’une citation en exergue ; celle par exemple de Gadda pour "Chino au jardin délicieux", tirée de Eros e Priapo : « Innumerabili sono i richiami d’amore », s’accorde au second degré avec la pratique de l’amie de Chino qui, nue sur le seuil du jardin, utilise un concombre en guise de godemiché. Dans le livre, les jeux avec les citations sont trop nombreux pour qu’on les relève, qui font appel aussi bien à Rimbaud (« la mer automatique allée avec le soleil pour un petit bout d’éternité ») qu’à un Évangile (« Car en vérité je te le dis » suivi de « scandale, bonne nouvelle ») ou à Mallarmé (« Les bouquets de rouges absents de toute fleur »). Dans une parodie de comédie, le personnage de Denise Courtay craint la mauvaise humeur de Jean, son mari, et, seule puis dans un dialogue, lui sont prêtés trois vers issus de tragédies de Racine et transformés, le premier d’ailleurs présent dans Grand-mère Quéquette avec le premier mot :

 

                        Quoi ! tandis que mon Jean s’abandonne au sommeil (Britannicus, I,1)

                        Oui, c’est Agamemnon, c’est ton chat qu'a miaulé (Iphigénie, I,1)

                        Ciel ! que vais-je lui dire ? et comment, vu la rogne (Phèdre, I,3)

 

   On ajoutera l’emprunt, mais modifié, d’une parodie de parodie de Cinna (V,1), de Raymond Rua, avec « Prends ton siège, Chino, et assoie-toi ta terre, a dit Doudou en douze pieds.[1] » 

 

   Dans l’ensemble titré "Chino au jardin des Muses", la réflexion sur la langue convie le lecteur à lire autrement que de manière linéaire, notamment en s’en prenant à ce qui semble intouchable pour conserver le sens, l’intégrité du mot : « Maussade vous a un côté mousse sale, salade fanée, aigreur de bouderie. Cet adjectif maugrée la colique. Quelque chose en lui ne veut pas. C’est à cause de mauMau est la version en cul-de-poule de mal. [Etc.] » Plus loin dans la même page, continuant l’examen de maussade dans le détail, Prigent rappelle l’existence de l’adjectif du moyen français sade « qui fait en poésie chouette », — qui signifiait « gracieux, charmant », du latin sapidus —, et de son dérivé de même sens sadinet chez Villon, employé aussi comme substantif pour désigner le sexe féminin.


   C’est là un court exemple non de jeu mais de rejet des formes académiques et une manière d’écrire autrement ; l’écriture de Chino au jardin mêle ce que l’ordre désigne par "niveaux de langue", aussi bien pour le vocabulaire que pour la syntaxe et la morphologie, use du calembour, de l’onomatopée, de l’énumération, introduit des mots d’ancien français, de breton, des néologismes, etc. Il s’agit bien de décrasser l’écriture des vieilles habitudes, contre les "Grandes Têtes Molles" de notre époque dont il donne quelques exemples à la manière du Lautréamont des Poésies : « Tête molle 1 : Saint-John-le-Percé, la Citerne pétonnante. Mort ! Tête molle deux : Alexandre Char, le Capitaine-Orageux-des-Destins. Mort ! Tête molle 3 : P’tit Guy Cadou, la Colique-des-Feuilles-Vertes. Mort ! Tête molle 4 : Guillevic Gros-Pif, l’ami enrhumé d’Euclide et du caillou. Mort ! [etc.] (...) Les mots sont des cadavres dans leurs bouches ». C’est pourquoi il donne, en gros caractères, les mots d’Artaud dans Le Pèse-nerfs, « Toute l’écriture est de la cochonnerie » et de Ponge, « La poésie : merde pour ce mot ! », puis reprend à son compte en les récrivant Bataille (« Poésie ? La haine ! ») et Denis Roche (« La Poésie ? Inadmissible ! *d’ailleurs n’existe pas ! »).


    Parmi d’autres manières de se défaire de l’académisme, des mots morts, Prigent introduit, à la façon de romans du XVIIIe siècle, une distance vis-à-vis de ce qui est écrit ; entre autres exemples, le narrateur s’adresse à Chino pour qu’il se réveille et il ajoute : « D’ailleurs faut poursuivre. Sinon on n’est pas arrivé à la page suivante, vers 136 ». C’est ainsi le principe même du romanesque qui est défait, tout comme il l’est avec le recours aux techniques du cinéma : tels moments du roman sont des "plans" et l’on passe sans transition ("cut") de l’un à l’autre : « Plan n° 2 [...] Cut. Plan n° 3 » ; ailleurs : « La scène se fige », « zoom », « fin du flash-back », etc. — on peut lire à ce sujet l’essai de Prigent, Ça tourne (L’Ollave, 2017).

 

   Il faut toujours re-commencer et l’on se souvient du titre du premier roman de Prigent publié en 1989, Commencement, et, travailler d’une autre manière le matériau de ce qu’a été une vie. Cinq ensembles du livre sur huit sont liés à l’enfance et à l’expérience des choses. Quand son ballon brise un carreau d’un bâtiment dans le jardin des postiers et que Chino veut le récupérer, il découvre, et le lecteur avec lui, dans cette Bretagne d’après-guerre un monde inconnu dont il se souviendra, celui de la vie ouvrière plus que difficile, celle aussi des immigrés polonais ou espagnols — cet ensemble a en exergue deux vers d’Apollinaire, « J’aimais j’aimais le peuple habile des machines / Le luxe et la beauté ne sont que son écume ». C’est par le jardin que sont évoqués la guerre d’Indochine et son issue, le poujadisme, le pillage par les enfants des vergers dans les jardins ouvriers, la vie des grands-parents, de tonton Louis et de la guerre de 14 dont reste « un nom sur un monument à coq gaulois qui chante gaulois sur le poilu ». C’est encore dans le jardin du premier ensemble du livre, qui se passe d’exergue, qu’apparaît la figure paternelle, figure attachée au travail de la terre et, donc, à la sueur : « La sueur de mon père quand j’y pense a l’odeur du jardin où je suis un jour entré dans la fièvre et dont plus jamais je ne sortirai. » Cette odeur associée au travail, c’est celle des ouvriers, « en eux sent fort la sueur de fond d’humanité. Du repas des hommes ils sont le pain moisi, la croûte amère et le vin aigre ; mais aussi le sel de joie, la mie de douceur et le levain de compassion ».



 

Ce temps revisité, est-il vraiment « re-vécu » parce que raconté ? Ce n’est pas tout à fait par hasard si le livre s’achève par un rêve de cimetière et « Larmes aux yeux, dents serrées, cœur brûlé, l’enfant devenu vieux regarde par terre dans la flaque de soleil entre ses chaussures revenir le temps des soleils d’avant ». Les jardins de l’enfance ont disparu, avalés par les pelleteuses : « Tout fut loti ». Cependant, dans ce livre où l’histoire d’un individu est inséparable de l’Histoire, le lecteur reconnaît d’un bout à l’autre une force de vivre qui fait s’agiter constamment Prigent dans la « bourrasque rythmique des mondes secoués de boucans, venteux d’une vie immense ».

 

 



[1] Parodie de Raymond Rua : « Prends un siège, Cinna, et assieds-toi par terre ».

 

jeudi 25 mars 2021

Sylvain Santi, Cerner le réel. Christian Prigent à l'oeuvre

 Sylvain Santi, Cerner le réel. Christian Prigent à l’œuvre, préface de Michel Surya, ENS éditions, Lyon, hiver 2019-2020, 366 pages, 29 €, ISBN : 979-10-362-0186-8.

« Par où entrer dans l’œuvre imposante, qui s’imposera,
de Christian Prigent ? Par ce livre de Sylvain Santi par exemple,
où tout entre déjà, en totalité ou en partie, de ce qui la constitue :
poèmes, récits, essais, théories et… politique. De ce qui fait
ses liens, parfois contradictoires » (Préface de Michel Surya, p. 21).

Dans une édition soignée, préfacé par Michel Surya qui développe les rapports entre poétique et politique, voici le premier essai sur l’œuvre d’un des poètes français les plus reconnus : suite au premier volume collectif paru en 2017 chez Hermann, Christian Prigent : trou(v)er sa langue, le livre que propose Sylvain Santi, spécialiste de Bataille qui travaille depuis des années sur l’œuvre de Prigent, se concentre en quatorze chapitres répartis en deux parties sur une question centrale – le « réel » – déjà abordée mais pas de façon aussi fouillée.

Au reste, il ne s’agit pas d’une monographie : s’adaptant à son objet, l’auteur ne cherche nullement une impossible exhaustivité, sachant qu’on ne peut cerner cette œuvre insaisissable qu’en esquissant des pistes, suggérant qu’il y a de l’innommable, déroulant des fils que les lecteurs devront tisser pour construire leur propre parcours. Son originalité est d’y entrer par de petites mais subtiles portes : le chapitre liminaire d’un essai marquant (« Lucrèce à la fenêtre », Salut les anciens, P.O.L, 2000), qui constitue « une fenêtre ouverte sur l’œuvre de Prigent » (p. 23) ; divers écrits et entretiens pas encore bien connus, ; un Journal de l’œuvide et un Album de Commencement mis en regard d’une première fiction, précisément intitulée Commencement(P.O.L, 1989), qui signe le vrai démarrage de ce qu’on appelle une carrière… Ainsi, un peu comme l’entreprise proustienne prend forme et se développe à partir de la fameuse tasse de thé, toute la première partie du livre découle de la lecture d’un seul chapitre de Salut les anciens : cette brèche offre une véritable ouverture vers l’œuvre entière, prolongée et approfondie, dans la seconde partie, par d’autres saillies du côté de Ce qui fait tenir, du Journal de l’œuvide et des premières fictions. À la synthèse surplombante, au survol synthétique, aux vains propos généralisateurs, l’auteur préfère une critique immanente qui suit les textes sélectionnés au plus près, creusant son propre sillon avec rigueur et méthode : les analyses et références sont pertinentes, les perspectives très souvent inédites, qui s’appuient sur un solide outillage philosophique, rhétorique/linguistique et psychanalytique. Avec Sylvain Santi, manière de critiquer et « manière de flâner » (23) vont ainsi de pair. Dans son journal intellectuel qui vient d’être publié sous le titre de Point d’appui 2012-2018, Christian Prigent y voit « un programme d’écriture et sa réalisation méticuleuse » (P.O.L, p. 257).

L’intérêt d’une telle démarche réside également dans un autre type d’ouverture : aux divers états du champ poétique comme à des figures majeures – telles Lucrèce, Scarron, Baudelaire, Sade, Bataille, ou encore Ponge.

On peut toutefois regretter que les chapitres 2 (« Hériter du père ») et 3 (« Modernité »)  ne soient pas plus approfondis et un peu trop proches des analyses de l’auteur lui-même (trop de citations sans doute) et recroisant parfois des études déjà publiées. On est d’ailleurs surpris de n’y trouver aucune référence à la critique prigentienne, comme si l’on pouvait écrire ex nihilo sur une œuvre déjà consacrée.



mardi 12 février 2019

Le nouveau TXT est arrivé !


Samedi 23 février 2019, de 15h à 17h au Reid Hall (4, rue de Chevreuse 75006 Paris) : soirée TXT, avec Jacques Demarcq, Bruno Fern, Typhaine Garnier Christian Prigent et Yoann Thommerel.
Et les voix de : Eric Clémens, Alain Frontier, Valère Novarina, Charles Pennequin et Jean-Pierre Verheggen.





Un quart de siècle après le dernier numéro et un demi après sa création post-soixante-huitarde, voici le « ressusciTXT » – selon le bon mot de Christian Prigent dans sa dédicace personnalisée –, revoici les TXThéoristes de la « communauté dormante » (p. 1)... Tous les principaux acteurs d’une aventure collective (1969-1993)[1]qui avait à ce point marqué la fin du siècle qu’elle avait donné naissance à un véritable label : Philippe Boutibonnes, Éric Clémens, Jacques Demarcq, Alain Frontier, Pierre Le Pillouër, Valère Novarina, Christian Prigent et Jean-Pierre Verheggen ; les artistes de Supports/ surfaces ne manquent pas à l’appel non plus, avec Pierre Buraglio qui donne de nouveaux contours au sigle « TXT » trente-cinq ans après, et les créations toniques de Daniel Dezeuze (Grotesque), Claude Viallat (Conan) et de Jean-Louis Vila (La Méduse et le Paon). Tous, excepté ceux qui se sont tournés vers d’autres horizons, comme Claude Minière (1938) ou Christian Arthaud (1956), et les disparus prématurément : Jean-Christophe Leuwers (1971-2001) ; Yves Froment (1939-2003) – dont Philippe Boutibonnes salue la mémoire à l’orée de ses « Moches z’heures ». Ainsi, en détournant un peu la dernière phrase du chef de file dans son introduction à l’anthologie de TXT : « TXT n’est pas mort, tout recommence autrement, le nouveau est invincible »[2].

Ces revenants vont-ils nous proposer ce qui au fond ne constituerait dans l’espace poétique actuel que d’ « autres piétinements » (cf. p. 45) / d’autres piètres niements ? Tout d’abord, un petit rappel : TXT, c’est un refus de la lissetérature – pour reprendre un néologisme de Dominique Meens, auteur P.O.L qui, adepte des écritures exigeantes, se joint logiquement au groupe –, une ascèse même et surtout carnavalesque visant à « vider la poésie de la poésie qui bave de l’ego, naturalise et mysticise, rêve d’amour et d’union, dénie obscurités, obscénités, chaos et cruautés, décore le monde et marche à son pas » (p. 1). La suite confirme que ce préambule, même s’il a été écrit à quatre mains, porte bel et bien le sceau de Christian Prigent, pour qui le temps est (re)venu de s’adresser à cet « énergumène symbolisateur » que constitue fondamentalement tout être humain. Car, plus que jamais nous sommes des séparés, maintenus à distance d’une expérience authentique du monde par le puissant écran d’une hypercommunication immondialisée. Et l’horrible trouvailleur (formule de Le Pillouër) de rappeler, en des termes à la fois pongiens et batailliens, la nécessité d’un réelisme poétique : « Notre monde, le monde informe des réseaux de communication, le monde lié, ne communique rien. Rien = clichés, humeurs, confidences, fake news. Dans le travail poétique, au contraire, l’expérience cherche ses formes propres, ses rythmes sensibles. On veut trouver des équivalents verbaux justes à ce qui, des vies, est mal nommé, mal pensé, non encore nommé. Et on regarde en face le mal (malaises, obscurités, folies, exploitations, coercitions, violences) » (p. 3). Aussi, relancer TXT avec les recrues du pôle caennais (Bruno Fern, Typhaine Garnier et Yoann Thommerel), mais aussi le peintre Mathias Pérez, ancien directeur des regrettées Fusées qui a donné au numéro une intrigante femme trouée, c’est assurer la survie de la revue moderne (un 33numéro est déjà en vue !), à laquelle, dès le début de l’aventure Fusées, l’ancien directeur de TXT assignait cette mission : « Le moderne est le spectre (hantise, dissolution, analyse, négatif) du présent comme fuite des significations hors du corps légendé (historisé ou futurisé) des pensées, des images et des langues. Dire le moderne c’est dresser la hantise de ce spectre au creux du dessin de ce qu’il hante : la vie programmée, formatée, comptée, boursicotée, publicitée, plébiscitée, médiatisée, idolâtrée.[3]» /Fabrice Thumerel/


*****
En mai 2019 paraîtra TXT n° 33, entremêlant une littérature qui cherche à produire un bruit neuf, des œuvres de plasticiens et des rubriques almanachiques : solutionnages miraculeux, célébrages farcesques, craductages trilingues, délectages littéraires et force décervelages pour chaque mois !
La Mél et la librairie Tschann s’associent au groupe TXT pour fêter ce retour à l’occasion d’une rencontre au Reid Hall. Entrée libre, dans la limite des places disponibles.
Directrice de la Mel : Sylvie Gouttebaron

Contact Presse : Lisette Bouvier
     l.bouvier@maison-des-ecrivains.asso.fr




[1]Grâce à José Lesueur, la série complète est disponible en ligne, hors-séries inclus : http://revue-txt.blogspot.fr. On pourra également se référer à Fabrice Thumerel, Le Champ littéraire français au XXesiècle, Armand Colin, 2002 ; « Revue et révolution littéraire : TXT(1969-1993) », p. 103-112.
[2]Christian Prigent, « Légendes de TXT », TXT 1969 / 1993. Une anthologie, Christian Bourgois éditeur, 1995, p. 10.
[3]Id., « Une revue de la vie moderne », Fusées, Carte Blanche, Auvers-sur-Oise, n° 4, 2000, p. 3. Cf. Fabrice Thumerel, « Fusées, une revue moderne », La Revue des revues, n° 34, 2003, p. 99-106.

vendredi 30 mars 2018

[Actualité] Nouvelles prigentiennes

AGENDA

 A Binic : le samedi 31 mars et le dimanche 1er avril, au Festival « Les Escales », 2 Quai de Courcy, 22520-Binic (secretariatdesescales@gmail.com). Signature, lecture, discussion.

Samedi 07 avril, à 18 h, à la Maison de la Poésie de Paris, 157 Rue Saint-Martin, 75003 Paris (01 44 54 53 00). Autour de Christian Prigent, Trou(v)er sa langue, actes du colloque de Cerisy « Christian Prigent ». Table ronde avec Alain Frontier, Bénédicte Gorrillot, Christophe Kantcheff, Fabrice Thumerel. Lectures avec Vanda Benes et Charles Pennequin. Réservation : ici.

Avant des lectures détonantes, la soirée débutera par une table ronde où, en synergie avec Christian Prigent, quelques participants au volume collectif issu du colloque de Cerisy aborderont de façon inattendue l’œuvre majeure de cet escripteur qui troue le mur des discours dominants qu’on appelle « réalité », ce Moderne carnavalesque à la sauce TXT qui dégèle Rabelais pour parler caca, ce sexcriveur qui aime taquiner un Eros cosmicomique...

18h - Table-ronde avec Alain Frontier, Bénédicte Gorrillot, Christophe Kantcheff, Christian Prigent & Fabrice Thumerel
20h - Lectures de Charles Pennequin et du duo Christian Prigent & Vanda Benes
    
À lire - Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue, Hermann, 2017.
Christian Prigent, Ça tourne. Notes de régie [Carnets de Grand-mère Quéquette, Demain je meurs et de Météo des plages], éditions de l'Ollave, 2017.
- Chino aime le sport, P.O.L, 2017.
Charles Pennequin, Les Exozomes, P.O.L., 2016.



A Caen : le samedi 14 avril à 17 h, à l’Artothèque, Palais Ducal, Impasse Duc Rollon, 14000-Caen (02 31 85 69 73). Lecture et discussion. Avec Vanda Benes.

Publications
↳"Indésirables" (sonnets), dans les quatre derniers numéros de la revue en ligne Catastrophes.
↳"Chino en mai" : sur Sitaudis, un extrait inédit du Journal de Prigent sur mai 68 qui ne manque pas de piment...
↳ Fin mai 2018, TXT renaît de ses cendres pour un nouveau numéro, le 32e de la collection : sur les 800 exemplaires, beaucoup sont déjà réservés... Il est donc temps de commander en utilisant le bon de commande ci-dessous. Et le 33e numéro est déjà sur les rails !
↳ Christian Prigent, Ça tourne. Notes de régie, éditions de l'Ollave, coll. "Préoccupations", 2017, 70 pages, 14 €.

Ce volume qui emprunte son titre et son sous-titre au cinéma reprend les extraits des Carnets de Grand-mère Quéquette et de Demain je meurs qui avaient d'abord été publiés sur ce blog. La belle édition que propose L'ollave ajoute ceux de Météo des plages. De cinéma il est bel et bien question :

Bresson : "ce qui est beau au cinéma, ce sont les raccords, c'est par les joints que pénètre le cinéma".
Je démarque : ce qui est beau en poésie, ce sont les raccords/rimes, c'est par les joints que pénètre le poétique (le mouvement, le rythme).


On y trouve par ailleurs ce genre de confidence : "Un monde inouï est en instance d'épiphanie dans l'effort au style. Je n'aurai jamais rien écrit qui ne guette cette épiphanie et ne s'efforce de créer les conditions de son effectuation. Rien écrit, ni même, d'ailleurs, rien... vécu" (p. 55).

↳ "La Poésie sur place", entretien de Christian Prigent avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Olivier Penot-Lacassagne & Gaëlle Théval dir., Poésie & performance, éditions Cécile Defaut, janvier 2018, p. 175-187.

Avant tout on retiendra l'analyse de son positionnement dans l'espace des possibles des années 80 (la sociologie bourdieusienne a laissé des traces) : il fallait au jeune poète se démarquer de la performance non verbale, de "l'horizon naturaliste des poètes sonores", de "l'expressionnisme des poètes beatnicks" et de Bernard Heidsieck. Suit sa propre conception de la performance : "Si le public assiste à quelque chose, c'est à un combat d'intensités dans les mots liés, déliés et re-liés par des articulations dynamisées. [...] le surgissement des significations dans la violence du combat des phrases (syntaxes, scènes) et des phrasés (respirations, portées rythmiques et sonores) est pour lui mis en scène, effectué sur place : voilà ce que j'entends par "performance" " (p. 185).

↳ "Comme un éclair dans un ciel fané", entretien de Christian Prigent avec Olivier Penot-Lacassagne, dans O. Penot-Lacassagne dir., Beat generation. L'inservitude volontaire, CNRS éditions, mars 2018, p. 293-301.

N'appréciant pas tout le folklore autour des beatnicks, Christian Prigent insiste sur la révélation que
fut pour lui la découverte de Ginsberg à vingt ans : "C'est beaucoup plus difficile de faire de la poésie avec des contenus et un lexique non a priori "poétiques". Mais c'est aussi une chance de faire plus juste (vrai) et plus frais (neuf). La poésie des Beats, c'était cela qu'elle faisait. Pas seulement parce qu'il y avait des obscénités, des trivialités blasphématoires et des déclarations transgressives, mais parce que cette poésie mettait à bas l'idéalisation congénitale du processus poétique" (p. 296). De Burroughs il retient le fameux cut-up (découpage-montage-collage) et la sortie du style comme originalité du créateur.
Mais il finira par trouver leur poétique trop lyrique.



jeudi 4 janvier 2018

Christian Prigent : Paul Otchakovsky-Laurens (1944-2018)

Paul Otchakovsky-Laurens avec Christian Prigent en 2013
Paul Otchakovsky-Laurens a récemment consacré à la passion de toute sa vie un film intitulé Editeur. Une poupée à échelle humaine l'y représente enfant et dédouble la présence à l'écran de l'adulte Otchakovsky-Laurens. Elle hante son parcours comme l'Ange gardien, le Démon de Socrate, voire l'oiseau fidèle perché sur l'épaule de Long John Silver dans L'Île au trésor.

Depuis trente ans j'ai dans mon dos, quand j'écris, un démon amical, sévère et attentif : le regard d'oiseau de Paul est posé sur mes feuillets. Je n'écris rien qui n'en tienne compte et n'espère être à la hauteur de son exigence. Je n'ai rien publié qui n'ait été formé par cette sorte de dialogue silencieux et qui n'ait d'abord été adressé à lui, Paul.

Paul Otchakovsky-Laurens était le meilleur des éditeurs. Son catalogue le prouve. On le sait. On le saura, dans la durée, de mieux en mieux. Georges Pérec, Claude Ollier, Bernard Noël, Hubert Lucot, Valère Novarina, Olivier Cadiot, Christophe Tarkos, Nathalie Quintane, Charles Pennequin (je cite ceux dont je me sens le plus proche — je pourrais en mentionner d'autres, moins proches, mais respectés, parfois admirés) : c'est une bibliothèque, d'ores et déjà patrimoniale.

Il fallait, pour la constituer, beaucoup de clairvoyance, de générosité, de sens d'une modernité capable de se tenir à la hauteur des panthéons anciens. Il fallait du courage, aussi, pour assumer des choix souvent difficiles et résister à la pusillanimité académique du milieu littéraire, à la paresse de la critique, à l'opacité de tel ou tel silence (sur des livres aimés, choisis et passionnément publiés), à la pression des contraintes économiques.

La diversité du catalogue P.O.L ne relève pas d'un éclectisme. Mais de la disponibilité de son maître d'œuvre : attention fraîche, alerte sensible (capable à l'occasion de franchir les limites du goût spontané), sens aigu de ce qui apparaît dans l'imprévu des différences et le mouvement des inventions. Ce dont Paul était convaincu, c'est qu'être un écrivain, c'est travailler la langue pour y former une justesse sensible qui fera sens. Et que cette justesse s'incarne dans une forme stylistique singulière — quoi que cette forme traite comme matériau et quelle que soit l'histoire ou la pensée qui s'y incarne. Enseveli derrière les piles de manuscrits qui occupaient son petit bureau de la rue Saint-André-des-Arts, Paul guettait ce surgissement. Le plus souvent déçu, certes. Mais jamais lassé, toujours capable d'enthousiasme. Et joyeux, si l'emportait cet enthousiasme, de le faire partager.

Ceux que POL a publiés savent quel éditeur il était, et quelle personne. Pas seulement parce qu'ils ont été élus par lui. Mais parce qu'ils ont éprouvé son écoute, sa ferveur amicale. Et joui de cette amitié. Une amitié non répandue, non triviale. Toute d'impeccable courtoisie, de pudeur raffinée, d'attention sans faille, de curiosité pour le travail de l'autre. A chacun de ses auteurs, il savait donner la sensation d'être par lui électivement aimé, soutenu et admiré.

Il disait ne pas vouloir choisir que des livres, mais s'engager sur des œuvres. Et le faisait, avec une fidélité inébranlable, même si moins convaincu par tel ou tel ouvrage, parce que son expérience (et sa modestie) lui faisait penser qu'au bout du compte c'est l'écrivain qui a toujours raison (de faire ce qu'il fait, de poursuivre). Il savait même convaincre tel ou tel d'avancer, contre son propre désespoir, ses doutes, ses pannes. Je me souviens d'un déjeuner avec lui, alors que j'étais dans une misérable phase de dépression post partum après la parution de Commencement (1989). Son invitation à démarrer un nouveau livre. Et l'intuition magnifique qu'il fallait me lancer sur autre chose, ne pas me laisser m'enliser dans la répétition de l'impossible même. Sa formule, mine de rien, entre poire et fromage : « si vous me faisiez un essai ? ». Cela suffit pour convertir la mélancolie en angoisse et, une fois l'angoisse traversée, amorcer la composition de ce qui donna, peu après, Ceux qui merdRent.

Voilà qui suffit, pour aujourd'hui. Il faut se donner au deuil, au silence. Se retourner sur des souvenirs. Méditer à quel point Paul Otchakovsky-Laurens est irremplaçable. C'est peu de dire, on ne le dit que la gorge serrée, qu'il va manquer, que sa disparition est un désastre. On (tous ceux pour qui compte la vitalité inventive de la littérature) n'a pas fini de mesurer l'ampleur catastrophique de cette perte.