Vendredi 22 mai à 20H, Maison de la Poésie, "Le désir de littérature, en somme"
(157, rue Saint-Martin 75003 Paris) : Christian Prigent avec Bruno
Fern, Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel. Dix mois après le
colloque international de Cerisy, "Christian Prigent : trou(v)er sa langue" – et trois livres publiés de l’auteur (dont un avec B. Fern et T. Garnier) -, à l’invitation de nos amis de Remue.net,
cette rencontre autour de l’écrivain – dont les lectures ponctueront le
débat – vise à débattre/échanger sur quelques questions essentielles, à esquisser quelques mises au point et perspectives.
Dans sa contribution à l’ouvrage collectif L’Illisibilité en questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
« L’expérience du sens, on ne la fait pas directement face à la vie
qu’on mène mais face aux discours qui nous disent quelque chose de cette
vie. Je perçois du sens quand je lis un ouvrage de philosophie, un
essai savant, une analyse politique. Et quand je perçois ce sens je
perçois généralement aussi ce que son bâti rationnel et la positivité
des énoncés qui le construisent ont de décevant. Au moment même où je
saisis son sens, je perçois l’inadéquation de ce sens à la façon dont le
monde, moi, singulièrement, m’affecte. Autrement dit : la lisibilité du
propos me le fait, dans une large mesure, éprouver comme du parler
"faux". Et cette épreuve est même sans doute ce qui fait lever en moi le
désir d’un autre mode d’approche de la vérité, d’une autre posture
d’énonciation, d’un autre traitement des moyens d’expression : le désir
de littérature, en somme. »
Une vingtaine d’années après Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature, qui dressaient déjà un constat alarmant sur l’état d’un espace social et d’un champ littéraire régis par les sommations de clarté/transparence/lisibilité (comment s’étonner alors de la démission de certains qui écrivaient ?), qu’en est-il de ce désir de littérature ?
Une vingtaine d’années après Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature, qui dressaient déjà un constat alarmant sur l’état d’un espace social et d’un champ littéraire régis par les sommations de clarté/transparence/lisibilité (comment s’étonner alors de la démission de certains qui écrivaient ?), qu’en est-il de ce désir de littérature ?
Pour
Christian Prigent, la réalité n’est pas bandante, toujours recouverte
d’oripeaux économiques, médiatiques, politiques ou artistiques,
toujours occultée par des paravents idéologiques et culturels : écrire
ne peut avoir trait à Éros qu’en déchirant les voiles, en biaisant les discours écrans. Le poète, qu’il écrive en vers ou en prose, est un emmerdReur qui en a marre de positiver avec les pensées-Carrefour et qui rompt donc les amarres
avec le monde tel qu’il paraît, brise les -ismes, s’éloigne des
isthmes qui le rattachent au plancher du terre à terre. Non pour
embarquer vers l’Éther, mais pour viser l’inatteignable point zéro du
réel : trouer les chromos, faire déraper les signifiants et les signifiés, et ainsi nous faire jouer/jouir de la langue et ses monstres…
Quels sont les monstres de la
langue ? Qu’est-ce qui la rend monstrueuse ? Eros, Thanatos…
l’impossible, l’innommable, la Chose, le Ça, la folie, le Rien,
l’im-monde, le corps, l’âme, le Carnaval, la patmo…
Est monstrueuse toute langue qui excède la Langue, la débonde sans abonder dans son sens ; toute langue dans laquelle le "réel" vient trouer la "réalité", la dé-naturer.
Est monstrueuse toute langue qui excède la Langue, la débonde sans abonder dans son sens ; toute langue dans laquelle le "réel" vient trouer la "réalité", la dé-naturer.
À méditer :
♫ « Nul n'écrit non plus sans que ses lectures n'aient avivé cette perception d'un écart entre ¨réalité¨ et ¨réel¨. Ceux que requiert le travail d'écriture traversent un matériau symbolique accumulé dans la mémoire, le savoir, l'imaginaire : le matériau dont fut fait pour chacun le ¨corps parlé¨ de sa vie. On peut nommer ce matériau ¨culture¨ – si ce terme ne désigne pas qu'un bagage d'us et de savoirs mais le modelage en profondeur de toutes nos configurations intellectuelles, morales, politiques, esthétiques, sensuelles, érotiques » (C. Prigent, La Langue et ses monstres, P.O.L, 2014, p. 254-55).
♫ « Nul n'écrit non plus sans que ses lectures n'aient avivé cette perception d'un écart entre ¨réalité¨ et ¨réel¨. Ceux que requiert le travail d'écriture traversent un matériau symbolique accumulé dans la mémoire, le savoir, l'imaginaire : le matériau dont fut fait pour chacun le ¨corps parlé¨ de sa vie. On peut nommer ce matériau ¨culture¨ – si ce terme ne désigne pas qu'un bagage d'us et de savoirs mais le modelage en profondeur de toutes nos configurations intellectuelles, morales, politiques, esthétiques, sensuelles, érotiques » (C. Prigent, La Langue et ses monstres, P.O.L, 2014, p. 254-55).
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« Cette part
d’opacité inévitable dans l’écriture fait qu’il n’y est
question ni d’atteindre un sens univoque (illusion d’une
littérature prétendument adéquate au monde) ni un non-sens absolu
auquel
se réfère parfois une certaine radicalité pour qui l’affirmation d’un supposé chaos universel justifierait des pratiques où le « désordre » l’emporterait. Il s’agit plutôt, contrairement aux préjugés sur la littérature contemporaine, de « raviver le réalisme » (Christian Prigent, le 11/01/01 à France-ulture.), d’essayer que le texte parvienne à un rendu le plus juste possible de ce qui constitue notre expérience même du fait d’être, c’est-à-dire à la fois des continuités de notre vécu et des multiples événements (liés aux sensations physiques, aux fantasmes, à la mémoire, etc.) qui viennent s’y insérer en permanence et nous plonger dans ce que, dans Au juste (1979), J.-F. Lyotard nommait « l’hétérogène pur », avec ce que cela implique comme confrontations à tout ce qui ne manque pas d’excéder un sujet écrivant dont la disparition élocutoire reste à confirmer. De plus, le langage à notre disposition n’échappe évidemment pas lui-même à cette hétérogénéité qui constitue un fond inatteignable ou, si l’on voit les choses sous un autre angle, une limite indépassable » (B. Fern, texte préparatoire à cette rencontre).
se réfère parfois une certaine radicalité pour qui l’affirmation d’un supposé chaos universel justifierait des pratiques où le « désordre » l’emporterait. Il s’agit plutôt, contrairement aux préjugés sur la littérature contemporaine, de « raviver le réalisme » (Christian Prigent, le 11/01/01 à France-ulture.), d’essayer que le texte parvienne à un rendu le plus juste possible de ce qui constitue notre expérience même du fait d’être, c’est-à-dire à la fois des continuités de notre vécu et des multiples événements (liés aux sensations physiques, aux fantasmes, à la mémoire, etc.) qui viennent s’y insérer en permanence et nous plonger dans ce que, dans Au juste (1979), J.-F. Lyotard nommait « l’hétérogène pur », avec ce que cela implique comme confrontations à tout ce qui ne manque pas d’excéder un sujet écrivant dont la disparition élocutoire reste à confirmer. De plus, le langage à notre disposition n’échappe évidemment pas lui-même à cette hétérogénéité qui constitue un fond inatteignable ou, si l’on voit les choses sous un autre angle, une limite indépassable » (B. Fern, texte préparatoire à cette rencontre).
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