Un grand merci à Christian Prigent d'avoir pris la peine de ressaisir le
texte de son premier recueil - quasiment introuvable aujourd'hui -,
dans lequel il ne cite André Breton que pour mieux en prendre le
contrepied, n'ayant de cesse de dégonfler les idéalismes. Avec Denis
Roche, entre autres, la poésie est bel et bien devenue inadmissible
: "Da ta gorge il faudra arracher ce poème poreux comme une amygdale
qui t'étouffe"... C'est le moment de se rappeler une phrase de Ceux qui merdRent,
située à la fin de la section sur Denis Roche : "après le congé à
l'humanisme (l'inadmissibilité de la poésie), le refus de toute ligne de
fuite utopique ("je n'ai rien à dire que ma violente action d'écrire"),
[...] la littérature s'ouvre à la nudité insensée du monde et c'est à
la fois intenable et désespérément voluptueux" (P.O.L, 1991, p. 173).
Tout ce qui "porte le beau nom d'humanisme" faisant partie de la galerie du temps perdu, dans cette dernière partie, voici que pointe le carnavalesque - avec clin d'oeil à Jarry, naturellement... /FT/
Tout ce qui "porte le beau nom d'humanisme" faisant partie de la galerie du temps perdu, dans cette dernière partie, voici que pointe le carnavalesque - avec clin d'oeil à Jarry, naturellement... /FT/
V- FAÇONS DE DIRE
COMPLETEMENT RINCE
« Moll Flanders qui vit auprès
de moi fait la baratte doucement sans gêne ni plaisir. Remue-ménage
pourtant dans ma vie de clous semés dans les orties. Il n'est pas
que toi, ma belle, pas que toi, ni mon mouchoir de fine batiste, ni
ma glande thyroïdale qui aient pu me placer le cou dans la dérive
pour te rincer la bouche lentement, rincer le sang tous les matins au
pied du lit, rincer la peau pleine de suie le soir, rincer la vie qui
hausse le nez au-dessus des moutons, rincer. Rincer les torchons, les
cuvettes, les faits-divers et vivre près de toi à une vitesse
limitée plantant des choux poilus pour exister un peu. Hélas, je
perds mon lait dans la bastille des horloges et contemplant tes
hanches au rebord de mes livres, je flanque à la poubelle mon plasma
fumigène et mes rêves esclavagistes, puis le vertige, celui qui
suce et qui aspire porte ton nom : Bonne Flanders, molle à tout
faire. »
PETIT SOUBRESAUT
à Pierre Chabert
« Mort aux vaches, dis-je. A
quatre pattes entre les radis verts, j'écoute pousser les mousses
hallucinogènes. Je les touille avec les dents. puis je m'attaque aux
différents légumes durs afin qu'ils pleuvent. Ça ne marche pas
fort. Touille donc. Touillons, mon vieux Chabert.
J'ai de belles larves dans les
oreilles et ma taille se guêpe dans un corset de sang léger.
J'attaque encore. Mais Betterave reste debout sur la tranchée. Navet
rentre la queue entre les jambes. Je lèche. Avec ferveur avec
Bouillasse je copule. Et vous, belles limaces ?
Tout cela n'est, comme
d'habitude, qu'un peu de temps perdu. (Tel tout ce qui — ici,
citation, et je ris — « porte le beau nom d'humanisme »).
Maintenant quelques obus, un peu de mort à mort et
vlan
vlà quça rpart
ici les escrabouzillés
les touillés les rires idiots
les ventres surexposés
et toujours cette sécheresse
et cette vulgarité sans faille
des légumes
(vos gueules,
pleuvez !)
encore un vieil orgasme comme on
n'en fait plus et je touille et je lèche et je lèche et je touille
et je sens monter dans la lèche et la touille la merveille des
canines (le bruit, la fatigue, l'élasticité !) dans le pis de la
vache de mes rêves de mousse...
et je pense soudain qu'il faut
manger l'homme sale vache
sale vache sale vache
tant qu'il est chaud »
« JE
TUERAI TOUT LE MONDE ET JE M'EN IRAI »
...
avec l'ombre, le corps parfaitement, je
m'approchai
:
Tout
un chapitre de ses seins, épave, belle page oscillant sur la mer.
Elle, dans la mansarde dépliée, lisant que « le meilleur, c'est un
sommeil bien ivre sur la grève » — puis moi, jamais lassé, dans
la parole rassemblé, à ses genoux griffant, nouant un jeu
d'aiguilles, torturant, — un plomb, une bête à fourrure, un
amoncellement sur le globe oculaire — le nerf cognait,
nous, Madame,
protocolaire le geste fixé dans l'aristocratie de cinq heures du
soir, occultâmes cette minute pleine de
mer
de merde de
réminiscence
et
le
poème alors ?
(après la mise à mort
dans ton vrai sang et
la cendre du lieu cerné
je m'en irai
je mens
je m'enfermerai dans la poreuse
pesanteur)
COMPILATIONS
...
les lignes dans les rouages, la trace dans la bourbe, multiplient le
séquestre — femme, près de moi attentive et les seins butés
contre la vitre, je te cherche. Un mot m'attend, bandé, sanglant,
sanglé. Si dans les glaires je le dis, comme déchire la guerre la
serpillière brûlée d'une géographie mentale, si tournant
météores, si aimantant non aimanté, s'il troue la page où je te
nue assoiffée t'ébattre dans l'inextric ronceraie chiffrée, à
l'infâme distance romanesque,
si
le grotesque, si en scène l'obscène texte, ce qui perce tes seins,
jaillit ciseau et à sa forme modulé, dans une neige affriolante tu
mordras
— érotisme, parade de pierres sculptées, éthérise les textures
burinées pour mourir — à plein le haut de vie,
(un
texte s'ouvre, dérapé dans les marges, plus que texte, rué comme
Angkor Vat, où s'investissent d'autres amorces...)
LA
POURSUITE
reste
à traquer les orbes, les filles grillées dans les allées
d'euphorbe — midi : le temps ; une bonace nasse les feuilles sur
leur axe, les haches vissées dans le suint séché. Au lieu d'un
site rassemblé, le pisteur mal d'aplomb dans la vasque, équilibré
dans les équidistances, ongles, angles, branchages, planté dans
quatre perpendiculaires ... (ici, une légère balancée des
branches) ... sent soudain s'arracher les cimes, le récit dégrafer
un filigrane de nervures, innerver dans les marges, où les haies
lumineuses, les eaux plates, cernent les mouvements traqués, les
femmes effacées par la lisière enfin lisible.
(Dessous
: la souille, les sarcomes, et pas un signe qui semonce, pour la
Braille).
ICARE
au rire du Mam
Sa cervelle de toilette étant
sale il prit donc son cerveau à barbe celui qui gratte quand on
l'embrasse se rinça la bouche de sa langue brûlée recracha ses
cinq sens et balança le tout à la ferraille ce qui fit kling klang
s'aperçut alors que sa gueule était rouge et ses mains noires et se
mit à rire d'être tout beau tout mort lisse en gelée ayant mangé
à l'orange l'enfant idiot d'en face fait un canard à sa femme dont
le rein le rein le rein trop aiguisé par le désir monta si haut si
haut que couic tout beau tout mort lui ses ailes de géant firent des
nœuds l'empêchèrent de marcher et il tomba tomba tomba salissant
dans le céleste paysage sa belle vulgarité de mâle mais sa
serviette de toilette étant sale on l'a vu il dut prendre son
cerveau à barbe et se rasa si fort qu'il se trancha la gorge ce qui
fit couic
VI - LE SOIR
SEULE
Elle
se lèche. Les petites pattes commencent à remuer de contentement.
On la regarde avec étonnement. Encore quelques minutes et le ciel
s'assombrit. Une détonation. On ne répond plus de rien. Elle espère
qu'on ne la découvrira pas. Mais des yeux argentés la cernent. Elle
sera pendue, étouffée par le pelage naissant du frais plaisir,
bousculée dans les pierres comme un os, épluchée, par vivre
concernée.
Je
suis à la limite de lampe mais elles
parfois
ignobles cessent c'est
cette
attente à fleur de mots d'un peu de
sang
ou de tendresse fanée ou de participation à
l'éclosion
de moi (elle
se
fait toute seconde bulle remous émoi paresse)
quelle
ignorance est mienne et cette
immobilité
qu'ils disent silence ou conclusion du
corps
là où l'esprit commence mensonge mensonge
ou
du poème mensonge ce serait ce ne serait rien
que
leur parole ensemencée empoisonnée ou
non
non non et dont
rien
d'autre qu'une griffure qu'un brisure d'ongles sur le bois des
tables
ou la paume ou la cage des idées parfois ne ferait
comme
aux bornes de la lumière les ciseaux
levés
brillamment : cette
envie
d'embrasser ou
de
mordre
qui
meurt avec un cri de tulipe rouge
entre
des jambes de femme ivre
Nous
serons presque tout entiers dans l'ampoule
quand
elle éclatera
ce
qui restera ne nous ressemblera pas
nos
mains mettront la camisole
il
y aura un rire de dément ou de cheval blessé
et
tous deux presque sans voix
dissous
parmi les heures convulsives
le
sang fuira dans les coursives
on
ne calculera même pas la gîte
nous
serons quittes d'avec le temps
et
pas beaucoup de bruit
quoi
qu'on en dise
AVANT SOMMEIL
Cri poussé comme un œuf
sa progéniture est de mouches
entends bouillir les acnés
blancs
dans la menstrue de nuit
futaille thoracique
le groin d'effroi cognant
quels noirs d'étable dans
l'œil de jument saillie
à la lampe gratter
gratter proche du sang la peau
dans la mansarde incendiée
le bruit de grues du soir
hâle les pages maîtrisées.
LE DROMADAIRE LE SOIR
Le soir le dromadaire se ramasse
à la pelle, l'onctueuse bête dont oscille mon sommeil, le cou qu'on
saute comme la passerelle molle du réel, l'hésitation avant de
vivre, la souple allure d'anthropoïde balancée dans les brisures de
la journée compacte. Bref, la belle bête...
Hélas, il y a aussi le
gromadaire. Le gromadaire, c'est juste le format au-dessus. Je veux
dire l'Idée. Quelque chose comme un surmâle à quoi tend la
rumination close de la bête droguée.
L'hebdromadaire, lui, en a sept.
De bosses. Chiffre sacré ? Une chaque matin (introïbo ad
altare...). Et qui rayonnent comme des dents. Ou des ciboires. Ne pas
confondre donc le gromadaire avec l'hebdromadaire, tous deux de noble
race, mais l'un ange, l'autre bête, multiple bête religieuse.
Et, sur l'autre versant que
lorgne le destin, le traumadaire, bête sans face, pustule hargneuse,
à la sale démarche de diablesse.
Cela est la couleur de mon rêve
quand je m'endors dans l'étroite gueule européenne. Chaloupe,
chaloupe, nuages de ce sang qui au rythme de la bête oscille et
ronfle : le mien.
TABLE
I. Le
Matin...........................4
II. Exemples de
faune...........17
III. Exemples de
flore...........24
IV.
L'Après-midi..................29
V. Façons de
dire.................35
VI. Le
Soir............................42
LA BELLE JOURNEE
de Christian Prigent
huitième titre de la collection
« Le Pont de l'Epée »,
achevé d'imprimer le 15 mars
1969
sur les presses de Guy
Chambelland,
éditeur en son mas de La
Bastide-d'Orniol (Gard)
a été tiré à
trente exemplaires sur chiffon
numérotés de I XXX,
ornés d'un dessin de ROBERT
TATIN,
et 300 exemplaires sur gros
papier cuir
numérotés de 1 à 300,
le tout constituant l'édition
originale
Dépôt légal : 1er trimestre
1969
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire