On (OUEST-FRANCE, entre autres) m’a demandé de dire quelque
chose sur les « événements » parisiens du 13 Novembre. J’ai
décliné, incapable d’autre chose que des banalités désolées et
des rages impuissantes qui sont dans nos têtes et nos cœurs. Bien
sûr, comme tous, je rumine ces « événements ». Inévitablement
(d'un point de vue « sécuritaire ») on va de plus en plus
nous fermer le monde, l'espace, le temps, les
paroles. On est en train de le faire (et pas seulement aux
frontières géographiques). Or c'est pour combattre un
nihilisme puritain, morticole et mortifère, qui est justement la
quintessence épouvantable du fermé. Nous (ceux qui
lisent, qui écrivent), ce sur quoi et à quoi nous essayons de
travailler, c’est l’ouvert (pas seulement des
frontières, des salles de spectacles, des stades : des langues, donc
des pensées, donc du monde réel disposé et disponible entre
nous, donc des vies vivables). Rien à céder, moins
que jamais, là-dessus : aucun rire, aucune impiété, aucune
obscénité, aucune aventure d'amour, de pensée, aucun jeu gratuit,
aucune invention obscure.
Christian PRIGENT
Face à des innocents lâchement assassinés par d'infâmes fanatiques, la poésie peut peu, pour le dire à la façon de Christian Prigent. Ça, le moderne ? Quoi, la modernité ? Cois, les Modernes… Face à l'innommable, seul le silence fait le poids ; comme à chaque hic de la contemporaine mécanique hystérique, ironie de l'histoire, l'écrivain devient de facto celui qui n'a rien à dire. Réduit au silence, anéanti par son impuissance, son illégitimité. Son être-là devient illico être-avec les victimes et leurs familles. Nous tous qui écrivons ne pouvons ainsi qu'être révoltés par l'injustifiable et nous joindre humblement à tous ceux qui condamnent les attentats du 13 novembre. Et tous de nous poser beaucoup de questions.
Surtout à l'écoute des discours extrémistes, qu'ils soient bellicistes,
sécuritaires, islamophobes ou antisémites sous des apparences
antisionistes. C'est ici que ceux dont l'activité – et non
pas la vocation – est de mettre en crise la langue comme la pensée,
de passer les préjugés et les idéologies au crible de la raison
critique, se ressaisissent : le peu poétique ne vaut-il pas
d’être entendu autant que le popolitique ? Plutôt que de
subir le bruit médiatico-politique, le spectacle
pseudo-démocratique, les mises en scène scandaculaires – si l'on
peut dire -, ne faut-il pas approfondir la brèche qu'a ouverte dans
le Réel cet innommable, ne faut-il pas appréhender dans le
symbolique cette atteinte à l'entendement, ce chaos qui nous laisse
KO ? Allons-nous nous en laisser conter, en rester aux réactions
immédiates, aux faux-semblants ?
Une seule chose est sûre, nous continuerons tous à faire ce que nous
croyons devoir faire. Sans cesser de nous poser des questions.
Ce
communiqué, signé de Pierre Le Pillouër et Fabrice Thumerel, est
publié simultanément sur les sites