In memoriam : Jean-Pierre VERHEGGEN (6 juin 1942 – 8 novembre 2023)
Dans une lettre du 28/03/1969, juste après leur rencontre, Christian Prigent l’évoque ainsi : « Bien enregistré ta gueule blonde et barbue, sacré Christ rondouillard et belge (« comme ses pieds », disait Baudelaire) » (extrait de lettre faisant partie intégrante de la sélection que Jean-Pierre Verheggen avait présentée à Cerisy en 2014 : « Le « bien touillé » »). C’était le lancement de TXT.
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Caricature de Christian Prigent, 1971 |
On pourrait voir un précipité de sa trajectoire dans ces titres de recueils : Le Degré Zorro de l’écriture (Christian Bourgois, 1978) ; Ridiculum vitæ précédé de Artaud Rimbur (Gallimard, « Poésie », 2001) ; On n’est pas sérieux quand on a 117 ans (Gallimard, 2001) ; L’Idiot du Vieil-Âge (Gallimard, 2006) ; Un jour, je serai Prix Nobelge (Gallimard, 2013) ; Le Sourire de Mona Dialysa (Gallimard, 2023)…
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Verheggen et Prigent, Rome, 1980 (photo de Denis Roche) |
Inventive et vivifiante, cette œuvre est tout sauf une poésie de divertissement facile. Dès Ceux qui merdRent (P.O.L, 1991), Christian Prigent s’érige à l’encontre d’un certain malentendu :
Jean-Pierre Verheggen passe encore généralement pour un écrivain comique, un spécialiste du gag verbal, une sorte de Rabelais ou de Brueghel moderne dont l’œuvre se réduirait à l’alignement gratuit des calembours, cette « fiente de l’esprit », comme disait Hugo. [...]
Cet argument a sans doute aujourd’hui d’autant plus de poids que cette manie du jeu de mots facile (voire, comme on dit, « débile ») est devenue une mode d’époque [...] au moins peut-on voir là que la marginalité poétique exerce, mal gré qu’on en ait et quelque « crise » qu’elle traverse, une « influence » réelle [...] (p. 233).
Ce que Verheggen propose, ce ne sont pas quelques calembours choisis (pour leur pertinence, leur réussite) mais des litanies cataclysmiques de calembours devant lesquelles on a envie de crier « n’en jetez plus ! » parce que cet épandage cacophonique et souvent scatologique fait merder tout ce qui nous reste d’assurance quant à la sécurité du goût littéraire. Le flux des calembours nous jette dans une sorte de phrasé à la fois nappé, dérapant et cahotique, une vitesse d’emportement où chaque jeu importe moins que l’énergie du flux lui-même. Cette vitesse a moins pour but la production du sens (entre autres, éventuellement, du sens surprenant que produit chaque calembour) que la résistance panique à la constitution du sens tel que le construit la probabilité croissante des séquences écrites (p. 236).
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Prigent et Verheggen, Cerisy, 2014 |
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